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ne le compris : mais je le devinai à la flamboyante mimique de l’orateur. Debout aux pieds du général, fièrement campé, tel un chrétien devant César, il dardait des éclairs de ses prunelles ; mais cette fois la parole cristalline, véhémente ou flûtée était une musique. Le vieil Athos grec célèbre en la personne du général son orgueil et sa propre gloire. J’en eus confirmation quelques instants après lorsque, dans la salle des Epistates conventuels, le Commandant en chef des armées d’Orient eut à répondre à une nouvelle allocution. Le général rendait hommage au pur traditionalisme et à l’esprit de foi inflexible qui avaient fait de la Sainte Montagne, à travers les siècles et malgré tous les assauts, une citadelle inviolée de la pensée religieuse.

Un silence impressionnant, que le tressaillement des âmes seul aurait pu troubler, accueillit ces paroles. Dans l’immuabilité du marbre, les représentants des monastères écoutaient ; et celui de Pantéleimon, le Rossikon tentaculaire, craignant de laisser échapper un mot d’importance, se pencha, prêta l’oreille avec un air de vigilante attention. On les dit quelquefois orageuses, ces assemblées de la très sainte Koinotis, conseil de la République athonite. S’il est vrai que l’Esprit Saint se plaît volontiers à présider aux conciles, tient-il quelque rigueur à la Synaxis de l’Athos ? Aussi, par prudence, celle-ci ne discute-t-elle que des règles générales fixant la vie temporelle de l’Hagion Oros. Aujourd’hui, c’est fête de fraternité évangélique et de pieux gaudissement.


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Malgré l’heure méridienne, gelée de coing, loukoums, raki, cognac et minuscules tasses de café reprennent leur procession hospitalière, et je reconnais qu’à chaque station les bénédictions ne leur manquent point. En soumettant l’humanité pécheresse à la tare de l’estomac, le Créateur compatissant n’est point sans y avoir apporté quelque douceur. C’est pour moi, au banquet qui suit, matière à mille pensées consolatrices. Ils sont là, joyeusement mêlés aux nôtres, les vingt délégués des monastères athonites. Leurs hauts bonnets voilés, leurs cheveux relevés en chignons, leurs grandes manches flottantes mettent comme une note de féminité à ces très masculines agapes. La table est longue, droite, pareille à celle d’une cène eucharistique. Vers l’Orient, entre deux fenêtres, par où