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à manger et annonça un officier de l’armée rouge. Introduit auprès du Grand-Duc, le nouveau venu lui déclara qu’il avait reçu l’ordre de visiter les appartements et les salons du palais, les Soviets ayant décidé d’en faire usage pour une organisation bolchéviste. Le palais, disait-il, serait occupé, mais le Grand-Duc aurait la permission de rester dans les chambres qu’il habitait. Seulement, on mettrait des sentinelles aux deux grandes portes d’entrée pour empêcher la sortie d’aucun objet. L’ordre était formel et devait être exécuté immédiatement. C’était, en fait, une arrestation domiciliaire.

Sur la protestation du Grand-Duc objectant qu’une œuvre de guerre était déjà installée au palais depuis plusieurs mois, l’officier rouge répondit que les Soviets ne l’ignoraient pas, mais qu’ils avaient décidé d’expulser cette organisation et d’en installer une autre à la place. Le Grand-Duc reçut avec stoïcisme cette nouvelle injonction. « Nous verrons bien ce qui adviendra, » nous dit-il. Ce qui le chagrinait surtout, c’était de voir l’œuvre de guerre expulsée de son palais.

Pendant ces premières semaines, une constatation fut particulièrement douloureuse, celle du changement survenu dans l’attitude des domestiques. Les serviteurs étaient nombreux au palais : ils s’assemblaient à tout propos, tenaient des meetings, signifiaient leurs volontés à l’intendant, devenaient chaque jour plus arrogants.

Le nouvel ordre des Soviets fut mis à exécution dès le lendemain : les deux portes d’entrée furent gardées par des sentinelles ; chaque personne qui sortait du palais était fouillée.

Il était clair que, dans ces conditions, le Grand-Duc ne pouvait plus rester dans un palais, où sa chambre à coucher elle-même n’était pas à l’abri des intrus. Lui conservait toujours la même sérénité. Il pensait au confort de ses domestiques, de leurs enfants, et négligeait complètement le sien. C’était un va-et-vient continuel. Les commissaires se mêlaient de tout ; ils venaient à l’office et à la cuisine pour inspecter la vaisselle, contrôler la batterie de cuisine et s’enquérir du menu. Devant un tel luxe de persécutions, le Grand-Duc n’avait plus qu’à s’en aller.

On lui avait trouvé un appartement meublé non loin du palais, à la Moïka n° 11. Pendant les quelques jours que prit l’installation, il descendit chez une personne de son service. C’était vers la mi-février. Aussitôt surgirent des commissaires