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venus pour perquisitionner. A défaut des armes qu’ils étaient soi-disant venus saisir, ils prirent une montre et une pièce de 10 roubles en or. Le même jour, le Grand-Duc était convoqué à la Tchéka (Gorochovaia 2). Le personnage, devant qui il était appelé à comparaître, était un petit homme corpulent, cheveux bruns frisés, visage rasé, bouche largement fendue, lèvres épaisses. Tel lui apparut le commissaire Ouritsky. « Vous avez devant vous le plus terrible de tous les commissaires, » lui dit-il en le recevant dans son cabinet. Il le fit asseoir, s’enquit de ses occupations et de son genre de vie. Le Grand-Duc lui répondit qu’il était président de sociétés scientifiques et qu’il menait une vie très retirée. « Je vous connais bien, dit Ouritsky ; j’ai beaucoup entendu parler de vous. » Et, après avoir pris sa nouvelle adresse, il le laissa partir.

Installé dans son appartement de la Moïka, le Grand-Duc venait passer presque toutes les soirées chez nous. Son frère, le grand-duc Serge, également, ainsi que M. Molodovsky. On causait, on prenait le thé à la russe et des liqueurs petites-russiennes (nalivkis) dont nous avions pu garder quelques bouteilles. Quand le Grand-Duc ne venait pas, c’est nous, ma femme, mon fils et moi qui, sur son invitation, l’allions voir chez lui.

Nouvelle convocation à la Tchéka. Ourilsky fait attendre le Grand-Duc deux heures dans un corridor et l’accueille par ces mots : « Je viens de recevoir une plainte contre vous du commissaire de votre palais : il parait que vous tentez de corrompre ses employés en leur distribuant les vins de votre cave. » Le Grand-Duc répondit que c’était pur mensonge. « Vous comprendrez, reprit Ouritsky, que j’aie plus confiance dans un commissaire du peuple que dans un représentant de la maison des Romanoff. » Le Grand-Duc lui répondit qu’il le comprenait parfaitement, mais qu’il ne demeurait plus au palais et, quant aux vins, qu’il n’en avait plus, vu que sa cave avait été pillée. Ouritsky, cette fois encore, le laissa partir.


* * *

Or, le soir du 23 mars, quand le Grand-Duc entra chez nous, à son air chacun eut la sensation d’un malheur. « Il y a du nouveau, nous dit-il ; on m’envoie en exil. Ouritsky m’a donné le choix entre trois localités : Wologda, Wiatka ou Perm. J’ai choisi Wologda ; c’est plus près de Pétersbourg et