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car il est hors de doute que l’enrôlement de La Fayette dans l’armée de Washington, l’enthousiasme que son acte excita, tout au moins dans une partie de l’opinion française, pesèrent d’un poids considérable sur les résolutions encore incertaines de la Cour de France et la déterminèrent à venir en aide aux colonies anglaises révoltées contre la métropole.

Les États-Unis doivent incontestablement leur naissance à la France, et, si la France est intervenue dans cette guerre, c’est sous la pression de l’opinion publique, entraînée par l’exemple de La Fayette. Nous l’avions un peu oublié en France. Les États-Unis s’en sont souvenus pour nous. La popularité de La Fayette est demeurée grande encore durant les premiers temps de la Révolution ; mais comme à partir de cette époque, il s’est mêlé à notre politique intérieure, et comme aucune période dans notre histoire n’a suscité plus de passions, il a été aussi vivement attaqué par les uns qu’exalté par les autres. Mirabeau, qui ne l’aimait pas, précisément parce qu’il voyait en lui un rival en popularité, l’appelait assez plaisamment : Gilles le Grand. On connaît l’éloquente, mais un peu injuste apostrophe de M. de Serre à propos du rôle de La Fayette aux journées d’octobre : « L’honorable membre a dû éprouver plus d’une fois, il a dû sentir, la mort dans l’âme et la rougeur sur le front, qu’après avoir ébranlé les masses populaires, non seulement on ne peut pas toujours les arrêter quand elles courent au crime, mais qu’on est souvent forcé de les suivre et presque de les conduire. »

On lui a reproché également la rigidité excessive avec laquelle il exerça le métier de geôlier aux Tuileries, lorsque la surveillance de la famille royale lui fut confiée, après la fuite de Varennes. Les adversaires un peu passionnés de La Fayette oublient qu’il vint courageusement, l’année suivante, à la barre de la Convention, protester contre l’invasion des Tuileries par les Jacobins au 20 juin. Ils oublient également que, décrété d’accusation à la suite de cette intervention, il fut obligé d’abandonner son armée pour échapper aux commissaires de la Convention, et que, tombé entre les mains des Prussiens, qui le livrèrent aux Autrichiens, il subit successivement, dans les prisons de Neiss, de Magdebourg, d’Olmutz, une dure captivité de cinq années, durant laquelle il fut privé non seulement de toutes communications avec le dehors, mais de toutes