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avril 1804. Elle y pénétra à la fin de décembre 1803. Notons en passant que sa première impression ne fut guère favorable. Ayant entendu par hasard un Allemand jouer du piano dans une chambre d’auberge où séchait du linge mouillé, elle écrit à son père : « De la musique dans une chambre enfumée, voilà l’impression que me fait l’Allemagne[1] ; » et lorsqu’elle décrit au cours de son ouvrage l’aspect de l’Allemagne, voici ce qu’elle en dira : « Les maisons bâties de terre, les fenêtres étroites, les neiges qui pendant l’hiver couvrent des plaines à perte de vue, causent une impression pénible. Je ne sais quoi de silencieux, dans la nature et dans les hommes, resserre d’abord le cœur. Il semble que le temps marche là plus lentement qu’ailleurs, que la végétation ne se presse pas plus dans le sol que les idées dans la tête des hommes et que les sillons réguliers du laboureur y sont tracés sur une terre pesante[2]. » Elle séjourna d’abord à Weimar, du mois de décembre 1803 au mois de mars 1804, dans l’intimité d’une petite cour tenue par un grand-duc à qui Gœthe reconnaissait des facultés rares, une sorte de génie, de démon intérieur, par une grande-duchesse qui était une femme tout à fait charmante et supérieure, où Gœthe enfin régnait en premier ministre absolu. Qu’elle l’ait un peu fatigué, je le veux, mais il ne paraît pas cependant avoir gardé de la compagnie de cette machine à mouvement (le mot est de Napoléon) un trop mauvais souvenir, puisque, quelques mois après, par un beau soir d’été, attablé avec une dame d’honneur de la Grande-Duchesse, il buvait au souvenir de ce séjour « avec le noble vin de Champagne[3]. »

De Weimar, Mme de Staël s’était rendue à Berlin. Elle y avait trouvé une cour qui rappelait par certains côtés l’ancienne cour de France : un roi assez lourd qui ressemblait un peu à Louis XVI, au contraire une reine charmante et séduisante, encore qu’un peu frivole, rappelant par plus d’un trait Marie-Antoinette, mais qui devait être un jour l’héroïque reine Louise. A la cour, ce n’était que ballets, mascarades, pantomimes. De ces fêtes, qui lui semblaient un peu pesantes, Mme de Staël se délassait dans la société intellectuelle d’écrivains, de poètes, d’artistes, qui se réunissait soit chez la duchesse de Courlande, soit chez Brinckmann, le ministre de Suède. Bien

  1. Édition Treuttel et Wurtz de 1820, t. X, p. 26.
  2. Édition Treuttel et Wurtz de 1820, t. X, p. 26.
  3. Archives de Coppet.