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que l’autre Chambre et la Commission exécutive se dissolvaient elles-mêmes. Le jour suivant, nous avons trouvé notre palais fermé par la force armée, et, après avoir dressé un procès-verbal qui m’est principalement reproché[1], nous sommes rentrés dans la masse des vaincus pillés et subjugués, avec la consolation d’avoir fait tous les sacrifices et toutes les tentatives qui offraient la moindre chance de sauver notre pays. S’il suffisait, pour se consoler des malheurs publics, d’avoir reçu ici et dans les départements que nous avons traversés les témoignages d’une très bienveillante confiance, je n’ai rien à désirer sur ces dédommagements personnels. Mais sans croire à beaucoup près que la cause de la liberté soit perdue, je n’en suis pas moins navré de nos calamités temporaires et irrité des humiliations journalières dont je suis témoin. C’est au nouveau gouvernement, dont les noms ne sont pas étrangers à la Révolution[2], qu’il appartient de se démêler de ces auxiliaires que nous n’avons pas appelés et de ces royalistes qu’ils n’ont pas convertis. Je retournerai à La Grange si ma retraite n’est pas devenue le tumultueux rendez-vous de quelque quartier général allié. D’autres campagnes sont dévastées ou séquestrées, nommément celle de Maubourg que les Prussiens veulent mettre en vente. Ma belle-fille fera ses couches à Paris. On nous fait espérer, chère madame, que vous ne tarderez pas à revenir. Je serai bien heureux de vous revoir, et ma chère jeune amie, et son frère. Parlez de moi à vos deux compagnons et agréez mille tendres amitiés.


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Mme de Staël, malgré les instances qui avaient été faites auprès d’elle et les assurances qui lui étaient données au moment du retour de l’île d’Elbe par les partisans de Napoléon, avait quitté Paris le 10 mars, c’est-à-dire aussitôt que le débarquement au golfe Jouan fut annoncé. « Je ne veux pas, avait-elle dit, qu’il me tienne prisonnière, car je ne serai jamais sa suppliante. » Elle partit pour Coppet

  1. Un certain nombre de députés, dont était La Fayette, trouvant le palais fermé, s’étaient réunis chez le président Lanjuinais et avaient rédigé une protestation. Le même jour, Louis XVIII rentrait dans Paris.
  2. Talleyrand et Fouché étaient membres de ce nouveau gouvernement.