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montrer son importance et de formuler à cette occasion quelques réflexions.


Et tout d’abord, que faut-il entendre au juste par bourgeoisie ?

Une remarque préliminaire s’impose. C’est que ce mot d’un usage si courant ne saurait aujourd’hui rien désigner qui ressemble à une caste. En vain, les apôtres de la lutte de classes prétendent opposer les unes aux autres des entités artificiellement schématisées. Il n’y a plus de cloisons étanches entre les Français. Notre bourgeoisie n’est pas une corporation privilégiée, mais, si l’on peut dire, un « moment social, » une catégorie très ouverte, très mouvante, fournissant au pays ses états-majors, et sans cesse renouvelée dans l’élite du prolétariat urbain et rural.

Quelles en sont les caractéristiques ?

Dans une conférence prononcée l’an dernier, M. Martin Saint-Léon, l’éminent historien des corporations, a analysé d’une manière fort clairvoyante les nuances qui séparent la petite, la moyenne et la haute bourgeoisie. Elles se rapprochent par un grand nombre de traits communs. De la multitude des définitions qui ont tenté de les dégager, en voici trois qui me paraissent assez topiques. Louis Blanc proposait d’appeler bourgeois « l’ensemble de ceux qui possèdent des instruments de travail et un capital. » M. André Liesse a défini le bourgeois : « un homme qui a de l’ordre et possède le sens de l’économie et le sens vrai de la famille. » « J’appelle bourgeois, écrit M. René Johannet, tout homme à qui le régime de la propriété individuelle fournit une indépendance sociale totale ou partielle, directe ou indirecte, et qui, en bénéficiant de certains loisirs, consacre son activité directrice, soit à l’agriculture, soit au commerce, soit à l’industrie, soit aux carrières libérales, y compris l’armée. On est bourgeois par ses parents, par sa manière de manger, de boire, de se loger, de se vêtir, par la nature de ses revenus, par l’éducation qu’on a reçue, par les efforts que l’on dépense, par les enfants que l’on a, par l’emploi qu’on fait de son temps, par sa manière de concevoir un budget. En général, l’ouvrier type dépense tout et soigne attentivement sa nourriture. Avec un budget identique, un bourgeois économise, se loge mieux, s’habille autrement. » — Nous inspirant de ces