Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résolution de ne pas se laisser écraser entre les puissances nouvelles qui tendent à dominer le monde. La constitution dégroupements tels que la « Confédération générale des Intellectuels » ou « Les Compagnons de l’Intelligence » est un symptôme qui ne saurait être négligé[1].

De tels faits, dont il serait aisé de multiplier les exemples, sont la meilleure preuve que notre bourgeoisie n’est pas mûre pour l’abdication. Elle ne présente rien de cette passivité, de ce dilettantisme résigné, qui caractérisent les aristocraties qui se préparent à mourir : tels les privilégiés de l’Ancien Régime en 1789 ; telle l’oligarchie qui soutenait le tsarisme.

Ce n’est pas seulement au point de vue moral, c’est physiquement que nous voyons la bourgeoisie française en mesure d’assurer sa survivance. La jument de Roland eût été le plus admirable coursier du monde, si elle ne fût morte. En vain relèverions-nous chez la bourgeoisie française d’aujourd’hui les plus heureux symptômes d’énergie et d’intelligence : il n’y aurait qu’à désespérer d’elle, si elle apparaissait incapable de réparer les effroyables brèches que lui a causées le cataclysme. Mais ici encore, se dessinent des perspectives d’où peut sortir le salut. Il est encore trop tôt pour affirmer qu’elle est guérie de la funeste tendance malthusienne qui, avant la guerre, la conduisait, et avec elle la France tout entière, à la décadence et à l’anéantissement. Mais ne méconnaissons pas que, dans l’ardeur de « nuptialité » qui caractérise en ce moment notre société, ce sont peut-être les fils de la bourgeoisie qui montrent le plus d’avidité à fonder des familles nouvelles, qui sont le plus fermement résolus, en lui donnant les enfants qu’elle réclame, à assurer la durée de cette patrie pour laquelle ils ont sans compter versé leur sang. Les foyers bourgeois ravagés d’hier vont se repeupler.

Il va s’en ouvrir d’autres. Tous ces paysans propriétaires qui se sont multipliés pendant la guerre, ce sont les pères de futurs bourgeois, fraîchement trempés, riches, en puissance d’activité. Si peu d’enthousiasme que nous inspirent les enrichis de la spéculation, leurs enfants vaudront mieux qu’eux. En une génération, leur sang et leur mentalité s’épureront. Ils apparaîtront propres, eux aussi, à reformer nos cadres appauvris.

  1. Voyez Alfred de Tarde, les Compagnons de l’Intelligence et l’organisation des forces intellectuelles, dans les Mémoires et documents du Musée social, 1920, n° 9.