Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ses contemporains et nous-mêmes avons certes exagéré les travers du bourgeois de Louis-Philippe. Il a rétabli la fortune de la France, et ce sont en somme ses enfants et ses neveux, qui se sont appelés Pasteur, Berthelot et Foch.

Et cependant à sa silhouette, comme à celle de son impitoyable persifleur Cabrion ou Schaunard, comme je préfère le portrait composite qu’un dessinateur pourrait donner de notre jeune génération ! C’est en effet, non seulement du haut de forme encombrant, du large col engloutissant le menton, du ventre proéminent et du parapluie historique ; c’est aussi de toute la défroque prétentieuse du romantisme, des systèmes pileux excessifs, des redingotes pincées à la taille, des pantalons ridicules, à pied d’éléphant, qu’elle s’est affranchie. Dans les visages osseux et presque totalement glabres de nos foot ballers, dans notre costume qui se simplifie et s’harmonise, dans le goût nouveau que je crois sentir pour la vie nette, l’hygiène et les idées claires, je vois des signes d’une mentalité plus aiguisée, plus adaptée à la réalité que celle des contemporains de Louis-Philippe. Une bourgeoisie nouvelle est en train de prendre corps, au sein de la crise que nous traversons. Elle ne redeviendra pas ce qu’était celle de 1914. Peut-être, à certains égards, la vie lui sera plus rude. C’est peut-être ce qui tiendra en haleine son esprit de vigilance et de combat. Il lui appartiendra de refaire la richesse de notre pays, d’assurer sa victoire intellectuelle comme sa victoire matérielle, et, associant de plus en plus étroitement la démocratie à la prospérité publique en même temps qu’à la gestion de ses propres intérêts, y renouvelant sans cesse sa propre substance, de guider la nation vers de nouveaux progrès.

Tâche immense, mais qui n’est pas supérieure à celle qu’elle a menée à bien depuis cinq siècles, ayant fait la France.


ANDRE LICHTENBERGER.