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badigeonnage récent, des traces d’inscriptions, des chiffres, des lettres grecques : Elais ; c’est l’ouvrage de quelque dévot du maître apparemment. L’étage comporte une seconde pièce, séparée de la première par une cloison, qui a aussi une fenêtre à banc de pierre, mais donnant sur le toit ; et enfin un petit carré où s’appuie l’escalier du grenier. Montons. Voici encore, près de la fenêtre qui ouvre sur la cour, des signes gravés dans la pierre : les marques de la moisson et de son partage entre le propriétaire et les métayers… Au revers de la maison, on voit un antique puits, avec son auge et sa margelle, un pigeonnier, un vieux cellier, un four, les étables et des caves creusées dans le rocher, comme à Chinon ; naturellement, l’un de ces souterrains se nomme le trou de Rabelais, « on n’en connaît pas l’issue, » et maître François se serait sauvé par là, un jour qu’on venait l’arrêter… Est-ce dans le clos attenant encore au logis que fructifiait la « plante du grand cormier ? » Hélas ! le phylloxéra a passé par-là, et la vigne américaine a remplacé les anciens plants. Du moins, au pied du coteau que couronne un moulin à ailes rouges, au bord du Négron, s’étend toujours la Saullaye, nous l’avons dit.

C’est là que s’ouvre la première scène du roman, comme on sait, le jour des « gaudebillaux » ou de la fête des tripes, qui devait ressembler à celle du boudin que l’on célèbre encore dans nos campagnes. Grandgousier a invité ses amis du voisinage, tous bons buveurs, bons compagnons et beaux joueurs de quille-là, à venir « baffrer ; » après quoi la compagnie s’est rendue à la Saullaye. Elle y mène la plus joyeuse vie du monde. Après avoir dansé sur l’herbe drue, « au son des joyeux flageolletz et doulces cornemuses tant baudement que c’estoit passe temps céleste les veoir ainsi soy rigouller, » les convives font ripaille sur l’herbe pour se délasser ; les flacons vont, les jambons trottent, les gobelets volent, les buveurs trinquent ; et leurs joyeux propos forment un chapitre délicieux[1]. Il y a parmi eux un homme de loi (quelque confrère d’Antoine Rabelais, sans doute), un clerc, peut-être un moine, quelques joyeuses commères, et chacun parle selon son caractère et sa profession. Ecoutons-les. Le page vient de verser à boire : — « O lacryma Christi ! s’écrie l’un des buveurs. — C’est de La

  1. I, ch. v.