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en Mésopotamie, soit lorsqu’ils ont laissé croire au roi Constantin et à M. Gounaris que leurs ambitions et leurs intrigues n’étaient pas vues à Londres sans quelque complaisance. Mais il faudrait en finir, de part et d’autre, avec cette politique d’impulsions discordantes. Elle risquerait d’amener, à la longue, des dissentiments funestes et de ruiner en Orient, l’autorité de l’Angleterre et la nôtre. Cherchons donc à nous rendre un compte exact des appréhensions que causent à Londres les accords d’Angora et des griefs qu’ils ont provoqués contre nous.

C’est surtout un passage de la lettre de Youssouf Kemal Bey à M. Franklin-Bouillon qui a alarmé l’opinion anglaise. Le ministre des Affaires étrangères du Gouvernement d’Angora exprime l’espoir que la France s’efforcera « de résoudre dans un esprit de cordiale entente toutes les questions ayant trait à l’indépendance et à la souveraineté de la Turquie. » — « L’indépendance, la souveraineté ! disent les Anglais; ne faut-il pas lire Smyrne et la Thrace? Et dès lors, M. Franklin-Bouillon n’a-t-il pas promis à Youssouf Kemal d’aider les nationalistes turcs à revenir, au détriment de la Grèce, sur les clauses du Traité de Sèvres? Or, les Alliés s’étaient concertés pour déclarer leur neutralité dans le conflit gréco-turc; il eût été sage de garder en commun cette attitude détachée jusqu’à ce qu’une médiation devînt possible, et une médiation n’a guère de chances de réussir, si elle n’est pas l’œuvre de tous les Alliés à la fois. »

« Mais il y a plus, continuent nos amis : la France signe un traité avec Angora, comme si Angora était toute la Turquie. Or, il y a à Constantinople un Sultan et des troupes alliées. Supposons que les kémalistes viennent à attaquer Constantinople, que feront les Français, qui ont conclu la paix avec les kémalistes? Laisseront-ils les Anglais seuls résister à l’attaque? Supposons qu’un complot éclate contre le Sultan et contre ce gouvernement turc que les Alliés protègent encore aujourd’hui, les Français se croiseront ils les bras? Sans doute, à Venise, l’Italie s’était déjà entendue séparément avec les Turcs; mais l’Italie n’a pas fait repasser sous la domination ottomane des populations chrétiennes que les Anglais disent avoir délivrées en coopération avec les Arabes, et auxquelles de vagues promesses ne suffisent pas à assurer la tranquillité ; l’Italie n’a pas, non plus, fait espérera la Turquie, qu’elle appuierait ses prétentions à la souveraineté sur les territoires qui lui ont été enlevés. »

Telles sont les principales critiques formulées par l’Angleterre.