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le bordj qui couronne les collines du Sahel ou les montagnes de l’Atlas, et la kouba qui surmonte les mosquées, les palais et les villas : les noms en sont latins ou latinisés. Cela s’appelait autrefois cupa et burgus. La prononciation arabe d’aujourd’hui déforme à peine le mot latin étymologique. Et ce n’est pas seulement la forme du mot, c’est la chose qui est latine. Voyez, dans les mosaïques de vos musées, ces reproductions de villas et de maisons rustiques : la kouba mauresque copie exactement la cupa romaine. Regardez après cela le burnous du cavalier indigène qui vous accompagne : ce manteau de laine bise, c’est le byrrhus que portait saint Augustin dans ses tournées pastorales. Voici, sur les épaules de ce cabaretier Mzabite, la dalmatique bariolée dont se couvraient, à la même époque, les chrétiens d’Afrique. Ces « orants « et ces « orantus » qui figurent sur les mosaïques funéraires du IVe et du Ve siècle sont vêtus comme les actuels marchands, dans les quartiers populaires de Constantine ou d’Alger. L’éventail qu’agite cette Mauresque strictement voilée, reconnaissez-le aux mains de cette Carthaginoise, que représente une mosaïque, vieille de dix-sept cents ans, récemment découverte à Carthage, au pied de la colline de Junon : même petit carré de sparterie, adapté, comme un drapeau, à un manche en bois de palmier et agrémenté de floches, de houpettes et de broderies multicolores…

Entrez dans les maisons, les boutiques, les cafés et les bains maures : voici l’étuve latine, avec tous ses accessoires et sa figuration, qui n’a pas bougé depuis vingt siècles : voici, armé de sa pelle, le chauffeur nègre préposé aux fourneaux, tel, ou à peu près, qu’il s’exhibe à nous dans une mosaïque de Timgad extraite des anciens thermes de cette ville morte. Ailleurs, le foulon pressant le linge de ses pieds nus, selon le rythme du tripudium noté par les auteurs latins. Voici à présent les gros cierges de cire coloriée, en forme d’obélisques, qui, aux siècles chrétiens, flanquaient l’image du mort sur les tombes africaines ; — et voici les cages de roseaux enfermant le rossignol ou le merle chanteur, ces cages rustiques, appendues, de temps immémorial, aux murs en pisé du laboureur africain…

Cette charrue que tient le paysan indigène, c’est celle que Virgile a décrite dans ses Géorgiques[1]. Cet instrument dont

  1. Pour tous ces détails, cf. Stéphane Gsell : Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, t. IV.