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déjà les délices des dévots et des dames africaines, au temps de Sophonisbe et de sainte Monique… Quoi encore ? le mobilier et la figuration de vos cabarets se retrouvent trait pour trait dans les images de la « taberna » ou de la « popina » romaine. Vos divans, c’est le lit gréco-latin, le lit où l’on se reposait, où l’on mangeait et buvait.

Enfin il n’est pas jusqu’à vos pratiques religieuses, celles qui paraissent tenir le plus intimement à vos dogmes et par conséquent être venues d’ailleurs, il n’est pas jusqu’à ces pratiques qui ne trahissent une origine punique ou latine : l’usage du vin était prohibé chez les Carthaginois, et Platon, dans un de ses traités, a soin de le noter à la louange de ses législateurs. Saint Augustin a passé toute sa vie de prêtre et d’évêque à lutter contre l’ivrognerie de ses paroissiens d’Hippone et à leur prêcher l’abstinence du vin. En outre, la viande de porc était également prohibée à Carthage. Cette coutume peut avoir des racines orientales et sémitiques : si elle s’est à la longue acclimatée en Afrique, c’est que le milieu africain était tout préparé pour la recevoir. Il y a mieux : la mèche de cheveux que portent, au sommet du crâne, les dévots musulmans de ce pays, c’est encore une survivance latine et chrétienne. Une mosaïque de Sfax nous représente des pugilistes de l’amphithéâtre avec une mèche toute semblable derrière la tête. Or, vous vous souvenez que les donatistes africains, qui se donnaient pour les Chrétiens les plus orthodoxes, pour les purs d’entre les purs, aimaient à s’intituler les lutteurs ou les athlètes du Christ. Quoi d’étonnant, si avec la matraque, ces saints d’un nouveau genre portaient aussi la mèche de cheveux qui distinguait les athlètes de l’amphithéâtre ? Et c’est ainsi que les Africains s’accoutumèrent peu à peu à considérer le port de cette mèche comme la marque extérieure de la sainteté ou de la piété fervente.

Quant à votre architecture religieuse, ô hommes d’Afrique, il est de toute évidence que ce ne sont pas les Arabes qui vous l’ont apportée. L’Arabe, peuple nomade et vivant sous la tente, n’était point un bâtisseur. En arrivant ici, il s’est borné à chasser des basiliques le Dieu de l’Afrique chrétienne pour y installer le sien. La mosquée, c’est la basilique désaffectée et appropriée à un culte nouveau. Etudiez, par exemple, la grande église de Tébessa, — ce vaste et si curieux ensemble de ruines, dont la valeur documentaire est de premier ordre et que vous