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ce qui donne des sensations de relief, de couleur et d’atmosphère, mais dans ce qui donne la sensation de la ligne pure et déliée, c’est-à-dire dans les œuvres de sculpture, et expressément de la grecque ou de la gréco-romaine. Le peintre doit penser en marbre. Pour revivifier l’art en décadence du XVIIIe siècle et de l’Académie royale, il faut qu’un tableau ressemble du plus près possible à un défilé de statues. Comme elles sont sans couleur, il faut qu’il ne fasse pas montre de coloris et comme elles sont d’une matière polie, qu’il soit d’une facture insensible et glacée. À ce prix seulement, on ne courra plus le risque de « faire français. » Tel était le dogme enseigné partout, en l’an VIII, chez David et dans les ateliers rivaux, même chez Regnault, à un plus ou moins haut degré.

D’où procédait une aussi étrange aberration ? nous demandons-nous aujourd’hui. Si nous feuilletons les historiens d’art, nous y trouvons cette réponse : d’un renouveau d’enthousiasme pour l’Antique. Mais elle ne résout pas le problème. L’enthousiasme pour l’Antique ne suffit nullement à expliquer des œuvres froides, incolores, compassées, comme celle de Gérard, de Guérin, de Fabre ou de Girodet-Trioson. Les Renaissants aussi, depuis Mantegna et Botticelli jusqu’à Michel-Ange, avaient été férus de l’Antique. Ils en eurent l’adoration et la folie, quand ils en virent les beaux monuments sortir de terre, pour la première fois, — et il n’y a aucun rapport entre leur art et celui des peintres de l’Empire, pas la plus lointaine analogie ! Allez au Louvre, dans les deux salles où sont rassemblées les œuvres de ces derniers, la haute salle carrée dite des Sept cheminées et la petite salle voisine dite de Henri II : pas une fois vous ne songerez à ce que vous avez vu à la Sixtine, à l’Académie ou aux Uffizi ! Non, ce ne peut être l’enthousiasme, même aveugle, qui produit la froideur. L’ivresse en face de la beauté ne se résout pas en pensums. Ce n’est donc pas la passion de l’Antique, même ignorante, même désordonnée, qui a créé le morne académisme de l’Empire. Qu’est-ce donc ?

C’est bien une passion violente, mais une autre, de l’espèce qui tue et non de celle qui vivifie. Toutes ces écoles aberrantes ne s’expliquent, — mais elles s’expliquent fort bien, — que par un besoin de réaction. Elles ne naissent nullement d’un enthousiasme : elles procèdent d’un dénigrement. C’est ce qui les frappe de stérilité. Les écoles antiquisantes du XVe et du XVIe siècle n’en