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ses admirations intempestives, tous les mouvements spontanés de son être émotif aux suggestions infiniment complexes de la nature. Il s’enferme, là-dedans, comme dans un blockhaus ; il ne verra plus rien du monde extérieur que ce qu’il voudra voir, — ce qu’on peut encore en distinguer par une mince fente pratiquée dans le mur. Il ne communiquera plus avec lui que par signaux conventionnels. Celui qui vient, qui brise les parois, qui remet l’artiste en face de la vie avec injonction de la regarder et de la peindre, attente-t-il à sa liberté ou la lui rend-il ? En tout cas, et quelque réponse qu’on fasse à cette question, un fait est indéniable : l’Art, à l’époque de David, fut remis dans sa voie naturelle par un despote, quand la libre discussion des ateliers le dévoyait.

Voilà les conséquences indirectes et inconscientes qu’eut sur l’art de David la volonté impériale, mais elle en eut encore d’autres, de directes et de volontaires, en s’exerçant sur le détail des œuvres commandées. Car Napoléon surveilla la composition du Sacre et des Aigles avec le même soin qu’un dispositif de combat ou un défilé triomphal. Et, plus d’une fois, il bouleversa les idées de son premier peintre. Par exemple, dans le projet du Sacre d’abord esquissé par David, l’Empereur pose la couronne sur sa propre tête, debout, le pied droit en avant, le buste renversé, la main gauche serrant la poignée du glaive plaqué à son côté. C’était assurément, là, le geste le plus saisissant, tout de conquête et de défense, ramenant tout à soi : le fauve qui griffe sa proie et montre les dents jusqu’aux gencives. Mais au point de vue esthétique, ce geste court, rentré, tassait encore la petite taille du Corse, déjà fort engoncé par le manteau impérial. Ce n’était guère heureux. En décidant qu’on effacerait ce soudard et qu’on montrerait, à sa place, un Justinien non pas se couronnant lui-même, mais couronnant Joséphine comme « un chevalier français, » l’Empereur dictait une attitude infiniment plus descriptive, et qui développait mieux sa silhouette.

De même, pour le Pape. David avait reçu l’ordre de « l’éteindre. » Alors il avait imaginé de le mettre dans un coin avec une mitre aux deux pointes visibles, les mains posées à plat sur ses genoux, passif et penaud, une attitude d’écolier auquel on a mis, révérence parler, un bonnet d’âne. C’était se priver d’une physionomie très caractéristique. « Il n’est pas venu de si loin