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M. Ingres, bien longtemps après, lorsqu’on avait l’impertinence de trop louer ses portraits, se redressait avec ce coup de bec : « Je suis un peintre d’histoire. » Gros obéit donc et quelque temps après, le dictateur exilé, mais encore puissant, lui écrivait avec la sereine inconscience des systématiques et des maniaques : « Je suis content de vous voir tiré des habits brodés, des bottes, etc… Vous vous êtes assez fait voir dans ces sortes de tableaux où personne ne vous a égalé. Livrez-vous actuellement à ce qui constitue la vraie peinture d’histoire : vous voilà sur la route, ne la quittez plus. »

Il ne devait plus la quitter, en effet L’Empereur n’étant plus là pour lui dire : C’est bien ! il n’osa plus peindre les visages et les gestes vivants autour de lui. Son Louis XVIII quittant les Tuileries n’est qu’une exception, et malheureuse. Bien plus, il reniait ses chefs-d’œuvre. Aux obsèques de Girodet, en 1824, il y eut une scène étrange et très caractéristique de cette crise de scrupule. Comme les confrères du défunt, membres de l’Institut pour la plupart, étaient là, profondément attristés, déplorant la perte d’un fervent apôtre des idées académiques et inquiets de la poussée de l’école dite « romantique » et surtout anecdotique, l’un d’eux dit tout à coup à Gérard : « Pourquoi ne le remplacez-vous pas et ne vous levez-vous pas pour prendre la tête de l’Ecole, puisque David est exilé ? — Je ne m’en sens pas la force, » dit Gérard. — « Et moi, s’écria Gros, les larmes aux yeux, dans un de ces accès de neurasthénie qui devaient lui coûter la vie, non seulement je n’ai point assez d’autorité pour diriger l’école, mais je dois m’accuser d’avoir été l’un des premiers à donner le mauvais exemple qu’on a suivi, en ne mettant pas dans le choix des sujets que j’ai traités et dans leur exécution, cette sévérité que recommandait notre maître !… »

Ayant dit, l’auteur d’Eylau et de Jaffa, l’inspirateur de Delacroix et de Géricault, retourna feuilleter sa mythologie. Il finit par exécuter une grande machine : Hercule et Diomède, si mauvaise qu’il en fut épouvanté lui-même et se tua. Un matin de juin de l’année 1835, un marinier du Bas-Meudon découvrit un corps immobile, enfoui dans les roseaux, la tête appliquée sur la vase. Tourné au ciel, on reconnut le beau visage qu’avaient éclairé, en Italie, les premiers rayons de la gloire napoléonienne. Ainsi, les peintres de l’Empereur eurent à peu près la