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même destinée que ses maréchaux, les Berthier, les Brune : ils n’existaient que par lui. Ils ne remportèrent, lui disparu, plus aucune victoire.

Mais les jeunes, dira-t-on, la génération qui poussait autour de ces maîtres, au bruit du canon, dans l’enivrement d’une vie intense et d’un monde renouvelé, l’Europe conquise au pas de course, après l’Orient dévoilé, toutes les races confrontées, les mœurs contrastées, les costumes, les gestes, les caractères saillants de tant de peuples révélés, ne portait-elle pas ea germe un idéal nouveau ?

On pourrait l’imaginer, a priori, si l’on ne connaissait les tendances de la jeunesse au début du Consulat : un art plus vivant et moins académique allait sortir de ses enthousiasmes. Mais point : c’est le contraire qui, sans Napoléon, fût arrivé. Car les jeunes d’alors étaient encore bien plus « pompiers » que l’institut. Certes, il est ordinaire que les disciples soient plus de leur école que le maître, et cela pour deux raisons : d’abord parce que l’outrance est le plus facile moyen de se distinguer dans la voie qu’ils ont choisie, ensuite parce qu’étant plus jeunes, ils croient davantage à la vertu des systèmes. Mais ce qui n’est pas fréquent, c’est qu’ils dépassent tellement le maître qu’ils en arrivent à le renier et à le cribler de sarcasmes. Tel est le scandale qui devait se produire dans l’atelier de David.

Celui-ci était le premier responsable. Il leur avait dit, au moment de peindre les Sabines : « J’ai entrepris de faire une chose toute nouvelle ; je veux ramener l’Art aux principes qu’on suivait chez les Grecs. En faisant les Horaces et le Brutus, j’étais encore sous l’influence romaine. Mais, messieurs, sans les Grecs, les Romains n’eussent été que des Barbares en fait d’art. C’est donc à la source qu’il faut remonter, et c’est ce que je tente de faire en ce moment. J’étonnerai bien des gens : toutes les figures de mon tableau seront nues et il y aura des chevaux auxquels je ne mettrai ni mors ni bride.. Peut-être ai-je trop montré l’art anatomique dans mon tableau des Horaces ; dans celui-ci des Sabines, je le cacherai avec plus d’adresse et de goût. Ce tableau sera plus grec… »

Voilà la théorie, mais en pratique et malgré sa rigueur David fit aussi autre chose, puisqu’il fit le Sacre et les Aigles, et dans les Sabines mêmes, le groupe des femmes éplorées et des enfants n’est plus tout à fait impersonnel et stylisé. C’est