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moment en l’isolant : il est solidaire de ceux qui le précèdent et de ceux qui le suivent. L’extrémité d’extravagance où parvient un chercheur téméraire de formules nouvelles, prouve qu’un de ses devanciers est parvenu, en sens inverse, à une pareille extrémité, ou bien force un de ses successeurs à tenter d’y parvenir. L’action commande la réaction, et l’amplitude de celle-ci correspond à l’amplitude de la première. Ne nous émouvons donc pas trop quand il nous semble qu’un mouvement littéraire s’exagère jusqu’à la déraison ; s’il en est vraiment là, c’est que le mouvement contraire n’est plus loin.

Tous les excès du romantisme traduisent l’effort désespéré qu’il a fallu pour débarrasser la littérature de la camisole de force des règles et des bienséances pseudo-classiques. Ces excès, à leur tour, ont obligé le naturalisme à pousser le plus loin possible sa prétention de réalité exacte, ou de vérité scientifique. L’insignifiance et la sécheresse où aboutissait le naturalisme, a suscité, comme contre-partie, l’outrance de l’irréalité symbolique.

Après de si violentes oscillations, serait-il impossible que le XXe siècle arrivât à une démarche plus composée et à une stabilité relative?

Bien des gens se tourmentent de la peur que la tradition française ne se perde. Ils n’osent pas faire un mouvement, de peur de la laisser tomber. Ils se laissent mourir de faim, de peur d’admettre en eux des substances étrangères qui altéreraient la pureté de leur nature française. Ils peuvent être tranquilles. La tradition les tient plus solidement qu’ils ne pensent; elle est plantée en eux profondément, bien au-delà de la région des idées conscientes et des doctrines réfléchies. Le génie le plus français n’est pas toujours l’esprit timoré qui se contraint à n’avoir que des pensées françaises, à présenter à tous moments une physionomie française. Ce sont les étrangers, les immigrés, les métèques, comme certains de nous aiment à dire, qui ont à s’appliquer pour être Français. Pour le Français de bonne et vieille souche (peu importe qu’elle soit noble, paysanne ou bourgeoise), il a la France en lui; il ne dépend pas de lui de s’en débarrasser.

Allons donc hardiment à travers la vie. Toutes les vérités que nous pourrons atteindre seront françaises, pensées par un Français. Toute la beauté que nous pourrons concevoir