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Renaissance. Nous avons chargé, gonflé, distendu de toutes façons la langue et l’esprit gaulois. Le XVIIe siècle a digéré cette formidable acquisition. De l’antiquité et de l’Italie transformées, il a fait notre grande époque classique. Le XVIIIe siècle a achevé de filtrer le mélange; il a retrouvé, perfectionnée et assouplie, la prose limpide et leste du XIIIe siècle. Mais il a commencé à emmagasiner toute sorte de produits anglais ou allemands. Le romantisme a brassé tout cela avec ce que nous allions ramasser dans le vieux fonds de notre moyen âge ; et la France s’est créé un grand lyrisme dont on commencée bien voir à quel point il reste enraciné dans la tradition nationale, et plus proche parent, certes, du classicisme français que du romantisme allemand ou anglais!

Il ne faut pas s’écrier : Tout est perdu, quand un jeune écrivain tord ou distend la langue : il n’y a de perdu, tout au plus, que son temps et son papier. Après tout, ces dislocations, parfois, je l’avoue, assez extravagantes, sont, pour la langue française, des exercices d’assouplissement qui indiquent à chaque moment de quoi elle est capable. Ils fixent au moins la limite de ce qu’elle peut actuellement supporter. Il ne faut pas prendre Montmartre trop au sérieux. Je ne suis pas davantage pour le prendre au tragique. Il ne faut pas permettre que Montmartre nous masque, comme à certains étrangers, Paris et la France. Mais il faut tout de même avouer que Montmartre est dans Paris, et fait partie de la France. « Attendez et voyez » (Wait and see), comme disent nos amis les Anglais: ce n’est pas toujours bien sûr en politique : c’est sans danger en littérature.

La réflexion que Sainte-Beuve, jadis, faisait au Sénat impérial sur l’imprudence de repousser trop violemment les idées auxquelles on n’est pas habitué, est encore plus judicieuse et plus vraie, quand il s’agit des formes du goût littéraire. Au nom de « sa conscience d’écrivain et d’homme, qui se croyait le droit d’examen et de libre opinion, » il conseillait de ne pas se laisser aller à dénoncer comme ennemis de la morale et de la société des gens « qui demandent souvent des choses justes au fond et légitimes, et qui seront admises dans un temps plus ou moins prochain.» « Prenez-y garde, continuait-il, ces calomniés de la veille deviennent les honnêtes gens du lendemain, et ceux que la société porte le plus haut et préconise. Malheur à