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revêt ses paroles, je vous crois assez forte pour voir les idées à nu; traitons de l’amour. Et il n’existe que deux sentiments qui méritent ce nom : celui des mères pour leurs enfants et celui que la nature a posé chez nous comme principe conservateur.

Ainsi, quand j’ai dit : je vous aime, voilà ce que cela signifie.

La première fois que je vous vis, mes sens furent émus, et mon imagination s’alluma jusqu’au point de vous croire une perfection, je ne sais laquelle, mais enfin, imbu de cette idée, je fis abstraction de tout le reste, et ne vis en vous que cette seule chose.

Cette idée première a reçu depuis un développement immense, c’est-à-dire qu’autour de ce désir premier se sont groupés une foule d’autres désirs, qui forment maintenant chez moi une masse, et cette passion ne voyant qu’un but y rattache tout et justifie tout. Ainsi vos quarante-cinq ans n’existent pas pour moi, ou si je les aperçois un moment, je les regarde comme une preuve de la force de ma passion, puisqu’à votre compte ils devraient en rompre le charme. Semblable à l’herbe avec laquelle les nègres cassent le fer, ainsi votre esprit, vos manières, votre accent, votre œil, votre pied enfin, que sais-je ? la moindre chose de vous est pour moi un phénomène !

Comment en suis-je venu à ce point? C’est par l’habitude, par le train qu’a pris ma pensée de toujours vous environner, enfin parce que vous voyant sans cesse, sans cesse ce désir se réveille et a pris une intensité qui me subjugue, et c’est une chose réelle puisque j’ai vu depuis trois mois des jolies femmes, des jeunes femmes, des femmes spirituelles, enfin des Laïs et que rien de tout cela ne m’a fait émettre un désir et que[1]depuis six mois je ne pense qu’à vous; il ne dépend pas de moi de ne pas le faire, parce que je ne suis pas libre.

Ainsi votre âge, qui vous rendrait ridicule à mes yeux si vraiment je ne vous aimais pas, est au contraire un lien[2], une chose piquante qui, par sa bizarrerie et son contraste avec les idées ordinaires, m’attache.

Mais que vous soyez bien ou mal, laide ou jolie, cela ne vous regarde pas, et ce sont les seuls rapports que vous n’avez

  1. Ce membre de phrase a été rayé sur le brouillon : vous ne serez pas pour moi Un passe-temps puisque c’est une passion réelle.
  2. Phrase supprimée : « Ne craignez jamais que je vous le reproche... »