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Marseille à Paris. Sans haine, mais non sans quelque inquiétude, s’ils se sont penchés sur cet enfant, qui, plus tard, a senti impérieusement cet appel de l’Espagne, cette nostalgie qui ne « lui est pas venue d’un marin grec, mais plutôt d’un More, dont la romance serait restée dans son cœur », et à coup sûr de cette Andalouse qui l’a disputé à ces Provençaux de sa famille[1]. Enfant complexe, fils de vieilles races méditerranéennes, né dans une cité où ces races sont venues s’allier, en mêlant dans leurs âmes l’activité et la subtilité de l’Hellade à l’ardeur et à la langueur de l’Afrique ou de l’Espagne de Don Juan[2]et les « sons des tambourins à ceux du tambour de Basque » ; esprit charmant et compliqué, qui s’apparente d’un côté à Corneille et Hugo, en tant que ceux-ci se sont inspirés de l’Espagne, d’un autre aux troubadours, nous le verrons, et, tel, qui sera celui d’une sorte de troubadour héroïque.

Mais déjà son père est un poète. Voici que sous le second Empire à Marseille, Eugène Rostand fait paraître des vers, imprimés à Lyon par Louis Perrin, et joliment présentés au public, avec un goût qui décèle évidemment l’amateur plus que le poète, mais l’amateur riche et distingué.

Ce poète élégant n’a point au reste de grandes ambitions : Ébauches, dit-il en 1865. La Seconde page, dit-il en 1866. « Mes premiers vers sont d’un enfant, — les seconds d’un adolescent… » confirme l’épigraphe du premier volume, et la pièce liminaire s’excuse :


Hélas ! je sais mieux que personne
Combien mes vers ont de défauts ;
Pour vrais du moins je te les donne ;
Ils sont sentis, s’ils ne sont beaux.


Oui, cela est juste ; ils sont sentis, ils sont sincères, ils sont jeunes, ces vers, dans le meilleur sens du mot. On y trouve


Ces rêves de l’amour qui s’éveille en chantant,
Ces fiers élans d’esprit quand on se croit poète ;


un cœur sensible à la beauté, à celle des femmes, à celle des livres, de l’art, de la musique, de la poésie, enivré de Mozart, et semblable à son Chérubin,

  1. Ibid.
  2. Voir : La Dernière nuit de Don Juan, Paris, Fasquelle, 1921.