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sorte de vertu, de taire la faute aux yeux du monde. Il est peu de ces âmes grandes et nobles, qui disent avec l’Evangile : « Ce n’est pas à moi de jeter les premières pierres. » On ne voit que gens occupés à en ramasser !

Je crois que nous ne pouvons pas nous dissimuler que l’œil perçant des jeunes filles nous devine. Je ne sais, mais jamais je ne puis regarder ton E.[1]sans qu’elle rougisse et que sa figure ne dise quelque chose que je ne saurais exprimer. Quant à A.[2]le dédain et une foule d’autres sentiments percent maintenant. J.[3]nous a depuis longtemps compris, et toutes no[us] entourent d’une masse de sentiments qu’elles ne cachent plus. Une indiscrétion qui leur révélerait que je viens en leur absence justifierait leurs soupçons, et tout cela retomberait sur nos têtes chastes et pures.

J’espère que dans ces observations tu ne verras que l’attention d’un ami qui ne craint que pour toi, car rien de fâcheux n’en résulte pour ma personne.

Il y a plus. Le bruit court que je ne suis si assidu que pour faire ma cour à ton E. et déjà l’on dit qu’un mariage se prépare. Certes, si j’étais en ce moment de fortune à me marier, je n’hésiterais pas. Mais si, par un bavardage commun entre les gens, un mot en tombait dans l’oreille d’E. bien que je ne sois pas de tournure ni de nature à rien faire naître dans le cœur, on ne pourrait pas s’empêcher d’y penser, et ce serait déjà de trop.

Il ne résulte pas de cela qu’il ne faille pas nous revoir, mais je veux venir peu à peu moins souvent, te regarder moins en leur présence, être plus affectueux avec elles, ne pas s’enfuir quand elles viennent, et, quant à nos charmants tête à tête, ah! Laure, je crois que nous pouvons bien les trouver sans que personne n’en sache rien. Ah! la jeune fille timide et fière de Vevei savait trouver des chalets à Job, savoyard ; Héro, la nuit, éclairait le détroit que traversait Léandre, et les nombreuses allégories des métamorphoses de la fable prouvent qu’il n’existe point d’obstacles pour ceux qui aiment et toujours...[4]à faire de l’impossible une idée qui ne représente rien.

  1. M. de Lovenjoul, dans la copie qu’il a faite de cette lettre, a mis entre crochets : [Elisa]. Nous ignorons la date de naissance de cette fille de Mme de Berny.
  2. Louise-Alexandrine de Berny.
  3. Augustine-Jeanne-Antoinette de Berny, née le 11 avril 1797, décédée le 9 novembre 1850.
  4. Mots illisibles.