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politique à laquelle il court toujours sans pouvoir la saisir ; quant à l’arrestation de M. de F. J.[1], je suis forcée, par ma franchise envers toi, de te dire que je suis loin d’en être peinée. Car si le parti de ces gens-là était détruit, il faudrait bien que tu en prisses un autre. Cependant, une crainte mortelle vient quelquefois faire bondir mon cœur, je pense que, si certaine dame t’écrivait de la venir trouver, tu serais assez bon pour y aller[2]. Une autre dame ne t’a-t-elle pas fait revenir jadis de Tours à Versailles, pour la consoler de chagrins que son égoïsme lui faisait te grossir[3] ; ici la circonstance est bien plus grave et malheureusement ta vanité est toujours éveillée, active, et a sur toi une prise d’autant plus réelle que tu en ignores la force. Cependant, mon bien aimé, cher ami, fils d’amour, si tu veux, écoute un peu la raison qui emprunte pour se faire entendre la plus amicale de toutes les voix qui jamais frapperont ton oreille, songe bien que certains personnages ne te donneraient pas un seul des trois ou quatre mille écus dont tu as un indispensable besoin ; songe bien que, dussent-ils être vainqueurs, ils ont toujours été ingrats par principe, et ne changeront pas pour toi seul, ami ; ils ont tous les défauts de l’égoïsme, toute l’astuce et la fourberie de la faiblesse ; un dédain qui va jusqu’au mépris pour tous ceux issus d’un autre sang que le leur ; ami ! par tout ce qui t’est cher, pour ta gloire, pour ton bonheur à venir, pour mon repos (car tu m’aimes) ne les crois pas, ne t’y fie pas ; emploie ton esprit à prendre avec eux le rôle qu’ils jouent dans le monde ; sers-toi d’eux, s’ils peuvent te servir, poursuivre la route dans laquelle tu es entré, puisque, malheureusement, ton pied s’y est déjà posé ; mais, hélas ! que de défauts il te faut acquérir pour les imiter ; et comment défendras-tu ton âme, comment la conserveras-tu pure, au milieu de tant de perversités ?

Enfin, chère créature adorée, tire-moi de peine, enlève-moi le poids qui m’oppresse l’âme, en m’assurant que tu ne seras pas l’esclave de ces gens-là et n’obéiras pas au premier ordre que tu recevras d’eux. Oh ! par grâce, réponds-moi à ce sujet aussitôt ma lettre reçue. Ce qui me rassure un peu, c’est l’assurance que tu m’as donnée de ne vouloir parvenir à rien que par la

  1. M. de Fitz-James.
  2. Mme la marquise de Castries, à Aix-les-Bains. (S. L.)
  3. Mme la duchesse d’Abrantès.