Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/630

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souverainement cet homme et sa dernière lettre si spécieuse[1]où sont exprimées des pensées si fausses, capables de le faire chasser du territoire ou incarcérer à tout jamais, si le gouvernement était conséquent, a encore ajouté à la profondeur de mon mépris. Ami, pour que je vive j’ai peut-être plus besoin encore du profond respect dont mon âme veut t’entourer que de ton amour. — Tu dois juger, par cette phrase, de quelle manière je t’aime, si tu pouvais l’ignorer encore. Tu m’as promis un journal ; tiens ta parole, mon didi, serre tes lignes et tes mots; écris-moi chaque jour quelque chose et envoie-moi le tout une fois ou deux par semaine. — Mille caresses et puis mille encore, mille pardons, mille becs d’amour et des vœux innombrables pour ton cher bonheur !

Puisse cette lettre te porter autant de bien que m’en a fait la tienne. Oh ! chéri, dans tous tes maux, repose-toi sur mon cœur !


VIII

[Mercredi, ] 4 juillet [1832.]

Je reçois à l’instant deux lettres, l’une de mon bien-aimé, l’autre de Laure[2]; comme toujours je garde la tienne pour la lire la dernière, bien à mon aise, mais hélas ! j’avais presqu’envie de ne l’ouvrir que ce soir, après avoir lu celle de Laure. Cette lettre lui est dictée, d’un bout à l’autre, mais figure-toi mon angoisse, lorsque j’y vois que son père ne veut pas que son frère la reçoive des mains de Mme Fabre, mais des siennes et qu’Alexandre se refuse à aller chez son père. Je connaissais l’intention de M. Berny et j’avais écrit à ce sujet à Alexandre, mais la lettre ne sera pas arrivée à temps. La voiture du Général est partie pour aller prendre mes enfants à la diligence de Clamecy, je ne sais si elle me ramènera au moins Alexandre. Oh ! mon Dieu, quelle terrible chaîne est la mienne! D’un autre côté, Antoine me donne de vives inquiétudes, car le parti que j’ai pris pour lui semble ne pas lui convenir. — Je ne t’en avais pas parlé, parce que tu as bien assez de tes chagrins sans prendre encore ta part des miens. Mais en ce

  1. Voir Le Rénovateur du 23 juin 1832. S. L.
  2. Laure-Alexandrine de Berny, née le 30 octobre 1813, décédée à l’âge de dix-neuf ans.