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premier épisode de la guerre picrocholine. Mais, parmi les entreprises du colérique et processif Gaucher, il semble bien que ce soit surtout celle qu’on va voir et qui ameuta contre lui toute la région, qui ait donné à maître François l’idée de la lutte de Picrochole contre Grandgousier.

Avant janvier 1528, Gaucher avait fait établir sur la Loire, en effet, « ung duict et bastitz de paux à double renc, » autrement dit une double rangée de pieux, avec une pêcherie, « près, joignant et au-dessus des pontz de la ville de Saumur, » de telle façon que ces barrages, et qu’un moulin, en outre, qui se trouvait là, obstruaient à peu près complètement le cours du fleuve, qui était pourtant d’une « grande estendue. » Gaucher n’avait laissé aux bateliers qu’une petite voie navigable le long de la maison du Chapeau, tellement étroite qu’on la pouvait mesurer avec une simple corde et où l’eau était « merveilleusement impétueuse et dangereuse, » si bien que les « marchans et voicturiers montans et avallans » risquaient à tout moment de s’aborder et que la navigation se trouvait extrêmement gênée.

Le cas était grave. Les rivières ont eu durant des siècles un rôle d’une importance que nous n’imaginons pas : c’est par leur moyen que se faisait presque tout le trafic de la France. Les voyageurs préféraient souvent la commodité et la lenteur des transports par eau à l’insécurité des voyages à cheval ; mais les marchandises, au prix de quelles peines les roulait-on sur les routes défoncées ! Par les fleuves, au contraire, — ces « chemins qui cheminent, » selon l’expression de Rabelais et de Pascal[1]— les denrées, l’argent, et encore les nouvelles, circulaient aisément à travers le royaume. Ainsi les rivières navigables étaient-elles vraiment les veines et les artères de la France : c’est par elles que la vie matérielle et morale arrivait dans tout le pays.

À l’époque romaine, les marchandises remontaient le Rhône, puis la Saône, d’où elles gagnaient en chariots ou sur le dos des bêtes de somme la Seine ou la Loire. Et il y avait sur chaque fleuve une confédération des marchands, très importante, fort riche, assimilée aux fonctionnaires les plus élevés. On ignore ce que ces sociétés devinrent durant les premiers siècles du moyen âge : sans doute eurent-elles beaucoup à souffrir des

  1. Pensées. « Les rivières sont des chemins qui marchent et qui portent où l’on veut aller. »