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faire toiser le chenal navigable en présence de Gaucher : ils arrivent au Chapeau avec un sergent et jettent une corde, qu’on mesurera ensuite, « au travers de ladicte voie et d’une part desdicts paux [pieux] à aultre ; » mais, dès qu’il a eu connaissance de leur intention, Gaucher s’est éloigné sous prétexte que le commissaire a seulement « mandé faire veue des choses sus-diètes et non de les toiser. » À la fin, M. Maître Christophe Hennequin monte héroïquement à cheval, et, insoucieux des fatigues d’une longue route, comme il ne manque pas de le consigner dans son rapport, se transporte de sa personne à Fontevrault pour appréhender le seigneur du Chapeau. Hélas ! Gaucher vient justement de partir pour aller voir M. de La Trémoille en son château, et l’infortuné conseiller doit se borner à faire placarder sur la grande porte de l’abbaye une assignation à comparaître devant le portail de l’église Saint-Pierre, à Saumur… En 1533, les Grands Jours s’occupèrent de l’affaire. Pourtant il semble qu’elle n’était point terminée en 1536.

Toute la région dut s’entretenir de ce procès, qui intéressait au premier chef les commerçants, et notamment ceux de Chinon, ville importante de la Communauté des marchands ; si donc nous supposions que maître Antoine Rabelais, personnage fort notoire dans le pays, dont il fut en 1527 le premier magistrat, — et juriste, qui plus est, — y eût pris un rôle de premier plan, il n’y aurait rien là que de vraisemblable. Mais nous savons qu’il avait des raisons particulières de s’intéresser à l’affaire : il était voisin sur la Loire du seigneur du Chapeau, et, en amont des barrages de Gaucher, il possédait lui-même des pêcheries ; il était donc personnellement lésé. Évidemment, Antoine Rabelais avait d’excellents motifs pour se ranger parmi les adversaires de Picrochole.

D’ailleurs, ceux qui mènent l’affaire pour la Communauté des marchands contre Gaucher sont des amis des Rabelais, voire de leurs parents. Voici Me Antoine Hullot, d’Orléans, qui est de 1534 à 1537 avocat pensionnaire de la Communauté des marchands, et suit à ce titre l’affaire Sainte-Marthe. Or on a découvert que c’est à lui que l’auteur de Gargantua écrivait en 1542 sa fameuse lettre « au bailli du bailli des baillis. » Il était donc l’ami intime de maître François ; et qui sait si leurs relations ne s’étaient pas nouées à l’occasion du procès contre Gaucher ? — Voici Mathieu Gallet et Jean Gallet, l’un clerc du greffe civil du