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les saints habiles à guérir, et comme chaque illustre docteur passe pour particulièrement propre à remédier à l’une de nos incommodités, de même chaque saint avait, au moyen âge, sa spécialité. Tel bienheureux qui s’entendait à faire passer la poste, comme saint Sébastien, n’était pas aussi puissant que saint Job pour guérir les ulcères, par exemple. À vrai dire, d’aucuns se trouvaient nettement voués par leurs noms mêmes à secourir certaines catégories de malades, et c’est à bien juste titre que les aveugles demandaient à sainte Claire de sortir de l’obscurité, tandis que saint Cloud, pour peu qu’on l’en priât, faisait miracle contre les furoncles, que saint Mammès s’entendait à donner du lait aux nourrices, et que saint Ignace se montrait sans rival pour les maladies de la « tignasse » ou du cuir chevelu. En revanche, le nombre des saints aliénistes devait plonger les fous dans la perplexité : comment choisir entre Saint-Nazaire, dont l’église était près d’Arras ; saint Gildas, qui logeait en Bretagne ; saint Menoux, établi en Bourbonnais ; saint Dizier, qui opérait dans le Haut-Rhin, et sainte Dymphne, qui travaillait à Gheel en Belgique ? Encore fallait-il prendre garde de n’offenser point ces bienheureux, car beaucoup passaient pour aussi capables d’infliger des maladies qu’ils l’étaient de les guérir.

C’est pourquoi les six pèlerins berrichons que nous présente Rabelais s’étaient rendus à Saint-Sébastien d’Aigne, près de Nantes, afin de supplier le saint de faire cesser la peste, — cette même peste qui avait ravagé Seuilly, apparemment. — À cette heure, ils en reviennent, et traversant le Chinonais, de crainte des soldats qui courent le pays, ils se sont décidés à passer la nuit dans le jardin de La Devinière, « dessus les poizars, entre les choulx et les lectues » (les poizars ou tiges de pois sont à terre en septembre, à l’époque où se passe la guerre picrocholine, après la cueillette des dernières gousses ; Rabelais n’était pas homme à se tromper là-dessus). Gargantua manque de les dévorer par mégarde avec sa salade ; par bonheur, ils échappent à la mort et s’enfuient à travers la vigne du grand cormier, d’où Antoine Rabelais tirait son bon vin blanc de La Devinière et dont nous connaissons l’emplacement au-delà du noyer grollier. Après diverses mésaventures, ils couchent dans une cabane de bergers près du Couldray. C’est là qu’ils seront surpris et arrêtés comme espions par les gens de Picrochole, puis