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dans les églises, « saisissant tous les bastons des croix » ; puis il sort au secours de Gargantua. Picrochole s’imagine d’abord que ce sont les siens qui viennent à son aide ; mais bientôt, pris entre deux feux, ses gens s’enfuient. Gargantua les poursuit jusqu’aux environs de Vaugaudry, puis fait sonner la retraite. La guerre est finie.

Picrochole a pu s’échapper par l’Est : c’était le seul côté qui ne fût pas gardé par les troupes gargantuines. Il galope en désespéré vers l’Ile-Bouchard, mais, dans le chemin de Rivière, son cheval tombe à demi fourbu, et, toujours coléreux, il le tue d’un coup d’épée. Le village de Rivière, où nous savons que la belle-mère d’Antoine Rabelais possédait des rentes, comprenait un moulin, ce qui explique comment Picrochole, ayant voulu s’emparer d’un âne, les meuniers le battent comme plâtre, le détroussent de ses vêtements et lui baillent pour se couvrir une méchante souquenille, un sarrau à pèlerine comme en portent les paysans. Renonçant alors à gagner l’Ile-Bouchard, le pauvre colérique prend le chemin de Tours (où l’abbesse de Fontevrault, son alliée, avait un fief). La Guide des chemins de France nous apprend que la route de Chinon à Tours traversait le Port-Huault (commune d’Azay-le-Rideau) : ne nous étonnons donc point de retrouver là Picrochole. Il y passe l’Indre ; après quoi l’on perd ses traces. L’auteur croit savoir qu’il est devenu pauvre gagne-denier à Lyon. Et voilà pour lui.

Retournons à Gargantua. Nous le trouvons occupé comme un bon général à faire rafraîchir ses troupes, à payer leur solde, à les haranguer, à régler la régence du royaume picrocholin, à faire inhumer les morts et à récompenser ses fidèles serviteurs en leur distribuant ses domaines, qui sont ceux de la famille Rabelais comme nous l’avons dit. Le moine obtient le droit d’instituer une abbaye à sa mode : c’est Thélème.


Jacques Boulenger.

(À suivre.)