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au sérieux : Mlle de Scudéry ne badinait pas. La carte du Tendre, qui est une niaiserie morne, est aussi le plan du Grand Cyrus et de Clélie. Les personnages de ces redoutables romans parcourent sans se presser tout le pays du Tendre. « Au long… » Très long !… « de leurs aventures et de leurs histoires, ils devisent de problèmes galants et même en bavardent. Est-il plus doux d’aimer une enjouée, une mélancolique, ou une capricieuse ? Est-il permis d’accepter un second amant, si le premier est mort ? La gloire est-elle l’apanage de l’amour ? Un amant doit-il désobéir à sa maîtresse, si l’honneur l’y incite ? Doit-on mettre de l’esprit dans les lettres d’amour ? Vaut-il mieux être prisonnier de guerre ou prisonnier d’amour ? Les réponses, évidemment, sont toujours conformes aux lois de l’amour pur et de la vertu. » Hélas ! et la vertu est mise à une épreuve où il ne faut pas la mettre : elle ennuie ; on ne saurait la préférer sans héroïsme.

L’idéal de l’amour précieux, tel que l’a élaboré le XVIIe siècle, — mais il n’a point occupé tout le XVIIe siècle ; et ses promoteurs ne sont que des écrivains de second ordre, — cet idéal est d’une sorte qu’il décourage et qu’il afflige les plus fervents admirateurs de cette époque. Lisez dix pages du Grand Cyrus et de Clélie : vous devenez enragé, vous criez qu’on se moque de vous tristement et vous réclamez en effet la chanson du roi Henry. Ou bien, vous trouvez un délicieux plaisir à lire une lettre que le vieux Malherbe adressait à son disciple Racan. Ledit Racan s’était épris de Mme de Thermes et la célébrait sous le nom d’Arténice. Elle ne se laissait pas attendrir ; et le poète s’attristait. Malherbe écrit à ce garçon mélancolique : « Vous aimez une femme qui se moque de vous. Il est malaisé que je n’aye dit devant vous ce que j’ai dit en toutes les bonnes compagnies de la cour, que je ne trouvais que deux belles choses au monde, les femmes et les roses, et deux bons morceaux, les femmes et les melons. Vous pouvez bien penser qu’un homme qui tient ce langage ne trouve pas mauvais que vous soyez amoureux. Il le faut être ou renoncer à ce qu’il y a de deux en la vie ; mais il le faut être en lieu où le temps et la peine sont bien employés. Je ne saurais nier que, lorsque j’étais jeune… ; mais ce n’a jamais été jusques à pouvoir aimer une femme qui ne me rendît la pareille. Quand quelqu’une m’avait donné dans la vue, je m’en allais à elle. Si elle m’attendait, à la bonne heure. Si elle se reculait, je la suivais cinq ou six pas, et quelquefois dix ou douze, selon l’opinion que j’avais de son mérite. Si elle continuait de fuir, quelque mérite qu’elle eût, je la laissais aller. » Il paraît que voilà, si j’en crois M. de Planhol, toute la théorie de l’amour libertin. » C’est