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possible, en somme. Mais, si l’on vient de lire ou Gomberville ou Scudéry, même l’ingénieux Honoré d’Urfé, l’on aime ce langage un peu vif ; et l’on a honte de s’apercevoir qu’on préfère à la préciosité ce franc libertinage.

D’ailleurs, il est vrai que la plupart des libertins, au Grand siècle, sont des écrivains blâmables : de jolis écrivains quelquefois ; et Desbarreaux est une espèce de grand poète désespéré. Il vaut mieux ne point excuser les libertins. Cependant, si l’on était féru de bienveillance, il suffirait, pour excuser les libertins, de lire avant eux les précieux, qui rendent la vertu désolante.

Considérez les libertins comme des gens que la préciosité importunait : aussitôt, vous prenez leur parti. Et, si les philosophes de la nature n’étaient que des gens à qui la préciosité fait horreur, ils mériteraient l’indulgence ; ils mériteraient l’amitié.

Mais, au temps de Rousseau, les précieux sont morts. Mlle de Scudéry a vécu cent ans, ou peu s’en faut : depuis longtemps, elle était surannée ; sa gloire n’avait point dépassé le dernier tome de Clélie. Non, ce n’est pas la préciosité de cette vieille demoiselle, que Rousseau et les autres philosophes de la nature ont détestée : c’est une préciosité nouvelle et bien différente, une préciosité pourtant.

M. de Planhol a très heureusement réuni un certain nombre de témoignages qui indiquent très bien l’idée qu’on se fit de l’amour dans la première moitié du XVIIIe siècle. Un peintre nommé Autreau donna en 1718 au théâtre italien Port à l’Anglais, une petite comédie où l’on voit une comédienne de Paris, Tontine, informer deux jeunes Italiennes des changements qu’elle a observés autour d’elle : « On a banni ces longs préludes de petits soins, ce sentiment de fidèle pasteur, cette timidité rustique que l’on faisait passer pour respect, enfin toutes les formalités romanesques… » L’une des jeunes Italiennes, Flaminia, demande ce qu’on a mis à la place de ce qu’on a si durement banni : « Des plaisirs solides et de bon sens ! Ceux de l’amour et de la table. On y a joint une conversation libre, familière, enjouée ; on dîne aux flambeaux en des réduits discrets… » Flaminia craint que l’amour n’ait plus toute sa délicatesse. Tontine : « C’est gagner que d’en perdre. La belle perfection pour lui, que d’être délicat et fluet comme il était autrefois ! Il n’avait presque plus de corps. Il a repris chair, il se fortifie tous les jours, l’enjouement lui revient, il ne demande plus qu’à rire… » Flaminia regrette une tendre mélancolie dont l’amour était curieux. Marivaux note également la transformation que signale Tontine : le sentiment n’est plus