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(1782, à Vienne) de son premier ouvrage allemand. « Trop de notes, beaucoup trop de notes, mon cher Mozart, » aurait dit l’empereur Joseph II après une répétition. « J’en demande bien pardon à Votre Majesté. Il y en a tout juste autant qu’il faut. » ? Voir aussi dans Stendhal l’anecdote de Mozart entrant un soir incognito à l’Opéra de Berlin, qui jouait l’Enlèvement, et donnant, au grand scandale des spectateurs et des interprètes, qui ne le reconnurent pas tout d’abord, des marques fort bruyantes tantôt de son contentement et tantôt de son déplaisir.

Quelle était à cette époque la vie de Mozart, la vie de sa vingt-cinquième année, on le sait par sa correspondance : une vie toute de travail, d’amour pour sa fiancée, bientôt sa femme, sa « bonne et chère Constance, » dont l’héroïne de son opéra portait justement le nom; une vie toute de joie aussi, de cette innocente, pure, divine joie qui fut le génie même de Mozart et que la douleur humaine ne put jamais détruire ou seulement altérer.

Dans ses lettres d’alors, Mozart parle aussi de la musique, de la sienne, et de la musique en général. C’est là que se trouve la phrase tant de fois citée : « Je ne sais... Mais dans un opéra il faut absolument que la poésie soit la fille obéissante de la musique. » Et ce qui suit : « Pourquoi donc les opéras italiens plaisent-ils partout, malgré toute la pauvreté de leurs livrets? Parce que la musique y règne en souveraine et fait oublier tout le reste. » Pour la pauvreté, le livret allemand de l’Enlèvement au sérail ne craint pas de rivaux. Mozart pourtant ne méprise pas ce qu’il appelle avec indulgence « la poésie de la pièce en général. » A son avis, tel air de Belmont « ne saurait être mieux écrit pour la musique. » Tel autre (de Constance) « n’est pas mal non plus. »

Quant à la souveraineté de la musique, il ne s’agit pas d’une froide et surtout égoïste souveraineté. Toujours et partout Mozart veut une musique expressive, au besoin passionnée. Il n’en connaît même pas d’autre : « Savez-vous comment j’ai rendu l’air de Belmont, en la majeur?[1] Le cœur qui bat est déjà annoncé d’avance par les violons en octaves... On y voit le tremblement, l’irrésolution; on voit se soulever le cœur gonflé, ce qui est exprimé par un crescendo ; on entend les chuchotements, les soupirs, rendus par les premiers violons en sourdine et la flûte à l’unisson. » Ainsi Mozart, le plus grand peut-être des purs musiciens, n’est pas un moindre musicien

  1. Au premier acte.