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plus complet du mot ; car dès lors il n’exista plus que par elle.

Il avait toujours été la faiblesse même : faible de caractère, faible d’esprit ; mais bon, modeste et affectueux. Quelques années auparavant, il s’était épris d’une demoiselle d’honneur de sa sœur, la Grande-Duchesse Olga, Mlle Kossikowsky, dont il avait facilement tourné la tête en lui promettant le mariage. Mais, quand il avait dû s’en ouvrir à sa redoutable mère, l’impératrice Marie, celle-ci avait jeté les hauts cris, tempêté, vitupéré. Et l’idylle en était restée là.

Mme de Woulfert, aussi intelligente qu’astucieuse et tenace, conduisit sa fortune avec une magistrale habileté. D’abord, elle divorça de Woulfert. Puis, elle eut un enfant. Alors et malgré les objurgations de l’Empereur, le Grand-Duc annonça publiquement sa résolution de l’épouser.

Au mois de juillet 1913, les deux amants s’installèrent à Berchtesgaden, sur les confins de la Haute-Bavière et du Tyrol. Un matin, à l’improviste, ils partirent pour Vienne, où un homme de confiance les avait précédés. À cette époque, le Gouvernement serbe entretenait dans la capitale de l’Autriche une chapelle du rite orthodoxe, destinée à ses nationaux. Pour un millier de couronnes, le pope consentit à la célébration d’un mariage hâtif et clandestin.

Rentré à Berchtesgaden, le Grand-Duc informa l’Empereur. La colère de Nicolas II fut terrible. Par un manifeste solennel, il retira à son frère les droits de régence éventuelle qu’il lui avait octroyés à la naissance du Césaréwitch. De plus, par un ukase enregistré au Sénat, il le mit en tutelle, comme on fait pour un mineur ou un incapable. Enfin, il lui interdit le séjour de l’Empire.

Pourtant, il fallut bien se résigner à certaines conséquences du fait accompli et, par exemple, attribuer un nom à celle qui était désormais devant Dieu l’épouse du Grand-Duc Michel-Alexandrowitch. Son mariage n’étant que morganatique et la laissant au seuil de la famille impériale, elle ne pouvait prétendre au nom auguste des Romanow : elle prit alors le titre de « comtesse Brassow, » du nom d’une terre appartenant au Grand-Duc ; l’Empereur consentit même à sanctionner le titre de « comte Brassow » pour le fils de son frère.

Dans leur exil doré, les deux époux s’organisèrent une existence des plus agréables, qui se partageait entre Paris,