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il ne m’a laissé voir aucun découragement. Il est, au contraire, plein d’ardeur et de résolution.

— C’est une âme généreuse et un très digne caractère.

— En retour, je peux vous assurer qu’il a beaucoup d’amitié pour Buchanan et pour vous, il s’accorde si bien avec vous deux !… Mais voilà qu’il se fait tard, mon cher Ambassadeur ; je vais prendre congé de vous et de vos invités.

Après les adieux, je lui offre le bras pour la mener jusqu’au vestibule. En descendant l’escalier, elle ralentit le pas pour me dire :

— Nous entrons évidemment dans une période ingrate, dangereuse même, et que je sentais venir depuis longtemps. Je n’ai pas grande influence, et, pour plusieurs motifs, je suis tenue à une stricte réserve. Mais je vois beaucoup de personnes qui savent et quelques autres qui ont parfois le moyen de se faire entendre. Dans cette mesure, je vous aiderai de tout mon pouvoir. Comptez sur moi.

— Je remercie chaleureusement Votre Altesse Impériale.


Mercredi, 16 février.

Parmi tous les problèmes que la politique intérieure pose devant les hommes d’État russes, il en est peut-être de plus pressants, il n’en est pas de plus complexes ni de plus graves que le problème agraire et le problème ouvrier. J’ai eu, ces derniers temps, l’occasion d’en parler avec des personnes d’opinions et de conditions très diverses, avec l’ancien ministre de l’Agriculture Krivochéine, avec l’ancien Président du Conseil et ministre des Finances Kokovtsow, avec le grand propriétaire foncier comte Alexis Bobrinsky, avec le président de la Douma Rodzianko, avec le grand métallurgiste et financier Poutilow, avec le député « cadet » Chingarew, etc. Voici les idées principales que je dégage de nos conversations.

La réforme agraire, promulguée par le célèbre ukase du 22 novembre 1906, a instauré d’une façon assez heureuse la liquidation de l’ancien régime rural, dont les défauts et les vices devenaient chaque jour plus criants. L’inspirateur de la réforme, Stolypine, considérait le mir, c’est-à-dire la propriété communale, comme la cause essentielle de la pauvreté, de l’ignorance, de la misère physique et morale où vit le moujik.