Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’idée d’une omnipotence absolue, illimitée, d’un despotisme arbitraire et sans contrôle. C’est la conception que Pierre le Grand et Nicolas Ierse faisaient de leur pouvoir ; c’est malheureusement aussi celle que Pobédonostzew et Katkow avaient inculquée au très noble Alexandre III et dont Nicolas II a beaucoup trop hérité[1]. On retrouve cette théorie dans l’article 4 des Lois fondamentales, qui proclame que « l’Empereur détient le pouvoir suprême autocrate et que Dieu même ordonne de lui obéir. » Mais ce principe est atténué, dans ce qu’il a d’excessif, par l’article 7, qui déclare que « l’Empereur exerce le pouvoir législatif, d’accord avec le Conseil et la Douma d’Empire. » Vous voyez la conséquence : le peuple russe est devenu ainsi un des organes directeurs de l’Empire et le tsarisme, tout en restant de droit divin, se rattache à la théorie juridique des États modernes.

— Si je comprends bien votre pensée, les Lois fondamentales n’ont conservé à l’Empereur le titre d’Autocrate que pour sauvegarder le prestige de l’autorité suprême et pour ménager une transition avec le passé.

— Oui, à peu près… Je dis à peu près, parce que je suis très éloigné de ne voir dans le titre d’Autocrate qu’une survivance historique, une simple formule de chancellerie. J’estime que, chez nous, étant donné nos traditions, notre état de culture et notre caractère national, le pouvoir suprême doit être extrêmement fort et je suis prêt à lui reconnaître toutes les prérogatives, tous les moyens de commandement et de coercition. Mais je voudrais qu’il fût contrôlé et, plus encore, éclairé. Or, aujourd’hui, il n’est pas contrôlé et vous savez quelles gens s’arrogent le monopole de l’éclairer.

Après un silence, je reprends :

— Puisque nous touchons à ce sujet délicat, laissez-moi vous poser une question… en ami.

  1. Lorsque Alexandre III monta sur le trône en 1881, le Manifeste qu’il adressa à son peuple fut rédigé par le fameux panslaviste, Katkow. Le Tsar s’y exprimait en ces termes :
    La voie de Dieu Nous ordonne de Nous mettre avec assurance à la tête du pouvoir absolu. Confiant dans la Providence divine et sa suprême sagesse, plein d’espoir dans la justice et dans la force de l’Autocratie que Nous sommes appelé à affirmer, Nous tâcherons, avec la grâce de Dieu, de ramener Notre pays dans ses voies traditionnelles, et Nous prendrons soin des destinées de Notre Empire, qui seront désormais discutées avec tranquillité entre Dieu et Nous