Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/809

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commence, avec ces chants merveilleux, tantôt si larges et si puissants, tantôt si purs et si éthérés, qui traduisent ineffablement les aspirations infinies du mysticisme orthodoxe et de la sensibilité slave.

Une grave émotion domine toute l’assemblée. Dans le parti réactionnaire, parmi les champions de l’autocratisme absolu, on échange des regards furieux ou consternés, comme si l’Empereur, l’élu de Dieu, l’oint du Seigneur, était en train de commettre un sacrilège. Dans les partis de gauche, au contraire, c’est une allégresse radieuse et frémissante. Sur plusieurs figures, je vois briller des larmes. Sazonow, qui est à côté de moi, prie avec ferveur ; car il est pour beaucoup dans l’acte qui s’accomplit. Le général Polivanow, ministre de la Guerre, dont je connais les tendances libérales, me glisse à l’oreille :

— Sentez-vous toute l’importance, toute la beauté de ce spectacle ?… C’est une heure solennelle pour la Russie ; c’est une ère nouvelle qui s’ouvre dans son histoire.

À deux pas devant moi, l’Empereur. Derrière lui, le grand-duc Michel-Alexandrowitch, son frère, puis le comte Fréederickz, ministre de la Cour, le colonel Swetchine, aide de camp de service, et le général Woyéïkow, commandant des Palais impériaux.

L’Empereur écoute, avec son recueillement habituel, l’office et les chants. Il est très pâle, presque livide. Sa bouche se contracte à chaque instant, comme s’il faisait effort pour avaler. Plus de dix fois, cédant à son tic familier, il porte la main droite à son col ; la main gauche, quittent les gants et la casquette, se crispe incessamment : son trouble est manifeste. Le 10 mai 1906, quand il ouvrit, au Palais d’hiver, la session de la première Douma, on crut qu’il allait s’évanouir, tant il avait la face angoissée et cadavérique.

Mais les prières de grâces sont finies ; le clergé se retire.

L’Empereur prononce alors quelques paroles de patriotisme et d’union :

« Je suis heureux de me trouver parmi vous, au milieu de mon peuple, dont vous êtes ici les représentants, et j’invoque la bénédiction de Dieu sur vos travaux. Je crois fermement que vous introduirez dans votre labeur, dont vous êtes responsables devant la Patrie et devant moi, toute votre expérience, toute votre connaissance des conditions locales et tout votre amour