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le devineriez certes pas, — c’est… Fréederickz, le ministre de la Cour.

— Le vieux comte Fréederickz, qui est si conservateur, si réactionnaire, si suranné ?

— Lui-même !… Mais il est si dévoué à l’Empereur qu’il a compris ce que la circonstance commandait à Sa Majesté ; c’est lui qui a posé la question devant l’Empereur et le Président du Conseil. L’Empereur a tout de suite acquiescé ; Sturmer n’a pas osé protester ; l’affaire a été enlevée immédiatement. Je vous confierai même que l’Empereur redoutait une scène de l’Impératrice ; il s’attendait à une avalanche de reproches. Elle a en effet désapprouvé, mais sans violence, avec une sévérité froide et réticente, qui est souvent chez elle la plus forte expression de la réprobation.


Jeudi, 24 février.

Je reçois à dîner, ce soir, la princesse P… j’ai invité en outre mon collègue d’Italie le marquis Carlotti, et une vingtaine de personnes, dont le général Nicolas Wrangel, aide de camp du grand-duc Michel.

La réouverture de la Douma est le principal sujet des conversations. La princesse P… approuve hautement la présence de l’Empereur à la cérémonie :

— Je ne vous étonnerai pas, ajoute-t-elle, en vous disant que ce geste libéral n’a pas été goûté de l’Impératrice, qui n’en est pas remise encore.

— Et Raspoutine ?

— L’Homme de Dieu se répand en lamentations et en mauvais présages !

Le général Wrangel, qui est fin et sceptique, n’attribue qu’une médiocre importance à la manifestation du Tsar :

— Croyez-moi, me dit-il, pour Sa Majesté l’Empereur, l’autocratisme restera toujours un dogme inébranlable.


MAURICE PALÉOLOGUE.