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Il n’est pas surprenant, dès l’instant qu’on avait la pensée de célébrer le troisième centenaire de Molière, que, connaissant les ressources de la Comédie, on ait conçu le projet de les employer toutes au succès d’une entreprise, que peu de théâtres au monde seraient aptes à mener jusqu’au bout.

L’heure est favorable d’ailleurs. La victoire de ce pays vient de placer la France dans une situation tout exceptionnelle vis à vis de l’Europe. Rien de ce qui se passe chez nous ne saurait laisser indifférents les publics du dehors. Ne convenait-il pas de saisir l’occasion qui se présente, en fêtant Molière, de rappeler que, comme l’Angleterre, l’Italie, l’Allemagne, nous avons chez nous un génie universel, comparable à Shakspeare, Dante ou Gœthe ? N’est-il pas opportun de montrer que, si nous nous enorgueillissons de nos gloires militaires, nous sommes fiers aussi de nos gloires littéraires ?

Telles furent les raisons exposées au Comité d’administration de la Comédie, pour le décider à entreprendre les travaux, à engager les dépenses nécessaires pour mener à bien le dessein formé. Il ne fallut aucun effort pour le convaincre. Ce Comité est composé, on le sait, de douze sociétaires. On discute souvent ses décisions ; on les blâme. Pourtant l’administrateur lui doit cette justice : devant une belle œuvre à monter, devant un effort coûteux, mais glorieux pour la maison, le Comité n’a jamais hésité. Quand on prépare, comme il y a quinze ans, la semaine de Corneille, quand on monte telle ou telle grande pièce, refusée sur d’au très théâtres, mais d’une incontestable valeur littéraire, nul dans le Comité n’a la naïveté de penser que l’on tente une opération fructueuse ; mais il suffit qu’on ait la conviction que le renom de la Comédie est intéressé à l’aventure, pour qu’on vote, sans discuter, les crédits indispensables. De même, dès qu’il s’est agi de fêter Molière, quelque considérables qu’apparussent les dépenses, et bien qu’il fût évident qu’aucunes recettes, pour brillantes qu’elles fussent, ne couvriraient les frais, il n’y eut pas néanmoins une minute d’hésitation. Je ne citerai pas de chiffres (ce sont là affaires d’ordre intérieur), mais les frais sont élevés, on peut le croire, et si le Comité et l’Assemblée générale des sociétaires, tout en recommandant la prudence à leur administrateur général, y ont souscrit, il convient peut-être qu’on souligne ce geste élégant et désintéressé.