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apprécier le courage, le caractère et le talent. Lorsque le rédacteur en chef du National fut grièvement blessé en duel par le fils de Roux-Laborie, au mois de février 1833, il s’empressa d’écrire à leur ami commun, l’éditeur Paulin, pour s’informer de ses nouvelles. Le polémiste se montra des plus sensibles à ce témoignage. « Je puis vous dire, mon cher ami, répond Paulin, que de toutes les marques d’intérêt reçues par Armand et dont je lui ai fait part, aucune ne l’a plus touché que la vôtre. » A peine convalescent, en effet, Carrel adressa, pour le remercier, au patron de ses premiers débuts, cette intéressante lettre qui contient de curieuses appréciations sur ses collaborateurs et semble répondre par avance aux imputations erronées que lancera bientôt Désiré Nisard, dans un excès de zèle amical et maladroit.


« Paris, 8 mars 1833.

« Paulin m’a communiqué la lettre dans laquelle vous lui demandez des nouvelles de moi, mon cher Thierry. Je n’ai plus à vous apprendre que je suis parfaitement rétabli et depuis assez longtemps, puisqu’on a cru ma santé chose assez intéressante pour en donner le bulletin au public, jusqu’à cessation complète du danger. Cela doit vous paraître bien étonnant et à moi aussi, je vous le jure. Comme on devient un personnage sans s’en douter! Voilà qu’il ne m’est plus permis maintenant de me fâcher, ni de tirer l’épée contre qui que ce soit. La France ne le veut pas. C’est ce qu’on m’écrit de tous les côtés à la fois et il y a des lettres qui ne portent pas moins de huit cents signatures. Je suis bien forcé d’en croire tant de gens ; aussi vais-je devenir d’une extrême amabilité dans la discussion.

« Vous me reprochez de vous avoir négligé dans le National depuis que j’y suis seul ; mais c’est précisément parce que je m’y suis trouvé seul, absolument seul, que j’ai été distrait de tous les sujets historiques et littéraires qui m’eussent rapproché de vous. Je n’ai fait que de la politique depuis trois ans et pas toujours pour mon plaisir. J’ai beaucoup cherché et je cherche encore un second, un alter ego qui veuille partager avec moi la solidarité de l’opposition anti-monarchique du National, et, soit par ma faute ou autrement, je n’ai rencontré personne qui voulût de cette position, ni comme dévouement d’amitié pour moi, ni comme affaire. Tout ce que j’ai