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confond les objets, ils ne sauraient se risquer; « ha Nadaou, » faire Noël, n’est plus de leur âge.

Tout le monde au reste a travaillé jusqu’à la dernière goutte de jour. Dans le clair soleil qui se hâte en cette saison, les hommes ont coupé de la thuie pour les litières futures, les enfants ont mené pâturer le bétail, et les femmes, assises contre le mur, vers le couchant, revu les vêtements de la famille ou vaqué aux soins de la maison, du jardin ou du poulailler. Les hommes ont pris seulement deux heures, à la fin de la journée, pour aller couper au bois « lou souc, » la bûche de Nadaou. Eux, et la « daoune » aussi, la mère, la maîtresse de maison, on dirait presque la dame, qui est partie chercher au village le morceau de bœuf de la daube. La bûche constitue quelque chose d’énorme, pris dans le bas d’un tronc, où la sève en s’accumulant avant de jaillir au printemps a gonflé et dilaté le plus les fibres. Nos métairies possèdent de vastes cheminées de cuisines, larges et hautes de plus de deux mètres, munies d’une plaque de fond, où se dressent des landiers pesants, bas de pied, droits de tige, qui paraissent se tenir debout comme des « mâts » de pailler. De l’un à l’autre une lourde barre de fer carré est jetée. Les cheminées sont aussi profondes que larges et hautes. Leur manteau repose sur des piliers de bois comme un hangar; leur voûte forme une arche à la mesure d’un pont; et, de chaque côté des landiers, à droite, règne une boite à sel pareille à un coffre à avoine, à gauche, une rangée de chaises comme à l’église. Là, le soir, pour se sécher ou se réchauffer, on s’assied en achevant de manger. Et le souffle ardent, le souffle embrasé qui sort de cet antre où, durant l’hiver, un demi-stère de rondins est empilé, est tel qu’il va ragaillardir jusqu’au fond l’atmosphère des chambres sans foyer, ouvertes tout autour de la cuisine...

La bûche doit remplacer, à elle seule, ce soir-là, les rondins-Depuis longtemps, elle est choisie. Les lisières de nos bois sont jalonnées de chênes « escos, » de tauzins, troncs antiques que l’on a toujours émondés, dont les branches servent aux petits feux pour bouillir l’eau ou les pâtées des bêtes, et qui, à force d’être amputés, ont fini par en mourir. La sève, un jour, a refusé de monter dans ces bois sans feuillage, qui ne respiraient plus, et tout de suite le temps s’est acharné sur eux. De ses ongles glacés, qui déchirent le marbre même, aidé de la