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chevrote un peu, quoique restée claire ; celle de Magnan, baptisée par le dernier curé, et qui babille comme un oiseau ; et celle de Toujun dont le timbre est limpide comme un son d’argent ; et celles du Houga, les plus hautes sous les cieux, qui égrènent des gammes de cristal parmi les coups mugissants du bourdon. Et toutes se hâtent de chanter joyeusement, et comme si leur fanfare éveillait des échos jusque sur les chemins, des bruits secs, métalliques, des bruits rythmés montent de la terre martelée, des lisières, des sentiers battus, des chaussées ferrées, à la rencontre des éclats aériens.

Et ce sont les sabots, les sabots sans nombre en marche vers la crèche, qui claquent sur le sol, mêlent leur tintement d’humbles choses à la sonnerie éclatante des bronzes bénis… Et les lumières s’unissent à l’hymne des sons… Convergeant de tous les points du pays, dans leur enveloppe de verre, descendant, gravissant les pentes, au bord des fossés, le long des haies, s’attirant on dirait entre elles, se confondant aux carrefours comme des gouttes de feu qui se grossissent les unes les autres, elles débouchent sur la route qui conduit à l’église, elles s’avancent comme une nappe scintillante aux remous sinueus. La route en est emplie, l’alentour illuminé ; et un halo flotte au-dessus d’elles comme sur un incendie. Et lorsque, arrivées au porche saint, étales un moment, elles oscillent avant de s’éteindre flamme par flamme, on croirait voir quelque semis d’étoiles, quelque autre voie lactée étendue là pour les pieds purs de l’Enfant attendu…

Nadaou est la fête propre aux paysans. Les autres dépassent leur conception, leur rêve. Ils y sont passifs. Et si la beauté des cérémonies sous les voûtes aux vitraux peints, les chants de l’orgue pareils aux grands vents dans les futaies, le déroulement des processions aux lueurs des flambeaux, les psaumes, les prières, les exhortations, les bénédictions répandues parmi l’encens fumant, les y attirent et les y retiennent, Nadaou seul les captive en les associant à son mystère. Sa familiarité divine les attendrit. Ils le comprennent, ils se livrent. Ils savent ce que c’est que d’errer, « dé muda » : de changer d’asile, de venir au monde dépouillé, de vagir entre des murs de torchis, de gagner son pain, d’être en butte aux hommes et aux choses, de vivre obscur, de souffrir dans sa chair et son cœur, et d’aller sur la terre en semant son grain sans être sûr de la moisson. Et puis