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Chine, la question du Pacifique, d’asiatique qu’elle était, devenait tout à coup européenne et entrait dans la grande politique mondiale. La tradition diplomatique du Gouvernement russe était toute d’amitié à l’égard de la Chine et de protection contre les prétentions d’autres Puissances ; il engagea la France à se joindre à lui pour affirmer et sauvegarder le double principe de l’intégrité de l’Empire du Milieu et de la « porte ouverte » au commerce étranger. L’Allemagne se joignit à la Russie et à la France avec l’arrière-pensée de tirer bénéfice de son intervention. Les trois Puissances donnèrent, le 20 avril 1895, au gouvernement du Mikado le « conseil amical » de renoncer à l’annexion du Liao-Toung. Le Japon eut la sagesse d’obtempérer à la sommation. Le principe de l’intégrité de l’Empire chinois, proclamé en 1895, était l’expression même de la sagesse et de la prudence ; la Chine, avec ses quatre cents millions d’habitants et sa vénérable civilisation originale, n’est pas une tribu sauvage ; entamer son territoire aurait constitué un dangereux précédent ; il était plus juste de l’aider à emprunter peu à peu à la civilisation européenne les moyens indispensables pour se moderniser ; la dépecer, l’amputer, c’eût été l’obliger à s’armer, à se militariser, et, quand il s’agit d’un État dont les ressources en hommes sont illimitées, le danger saute aux yeux. Pour avoir violé le principe qu’elles-mêmes venaient de définir et d’imposer au respect du Japon, les Puissances européennes vont se trouver entraînées dans une série de difficultés, de conflits, de guerres, de catastrophes.

Ce fut l’Allemagne qui donna le mauvais exemple et qui ensuite tenta la Russie. Elle saisit le prétexte de l’assassinat de deux missionnaires allemands au Chan-Toung pour envoyer à grand fracas une expédition en Extrême-Orient et obtenir la cession à bail de la baie de Kiao-Tchéou avec un large arrière-pays et des avantages économiques (6 mars 1898). En même temps, la diplomatie allemande et Guillaume II lui-même incitaient le Gouvernement russe et le faible Nicolas II à profiter de l’occasion pour achever l’œuvre séculaire de la politique russe et s’installer sur le Pacifique, aux portes de Tien-Tsin, dans un port que ni les glaces ni les traités ne viendraient lui fermer. Le cabinet de Pétersbourg se laissa séduire ; il obtint à bail et occupa militairement cette même péninsule du Liao-Toung que sa diplomatie avait, trois ans auparavant, obligé les