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n’a pas pour elle une parole de bonté ! Lui non plus, il ne trouve pas un mot du cœur ! Ce mari, ce bon mari, ne comprend pas que c’est un devoir quand une femme, et qui est votre femme, va se noyer, de lui crier gare. C’est le drame de sa propre vie qui se joue, et il y assiste en spectateur ! Mais il n’est vraiment que cela, un comparse ; moins encore, une ombre, un fantôme : il n’existe pas.

Au troisième acte, Hélène fait ses préparatifs de départ. Elle a des rangements à faire, des adieux à dire, l’adieu à la maison où elle s’est crue heureuse, aux choses parmi lesquelles elle a vécu dix années de sa vie. Alors, de tous les coins de cette maison, se lèvent les souvenirs. Les choses lui parlent et elles lui disent, toutes ces douces choses, qu’elle ne doit pas, qu’elle ne peut pas partir. Elle appelle son mari ; elle lui confie les photographies de l’enfant qu’ils ont perdu. Rappelez-vous la Robe d’Eugène Manuel. Ce souvenir de l’enfant disparu, voilà le lien, voilà ce qui entre deux êtres fait l’union indissoluble. Challange n’a pas connu, aimé, pleuré cet enfant. Alors il ne sera jamais pour la mère du petit mort qu’un étranger. La crise est passée, le ménage est raccommodé : Challange peut reprendre son bâton de voyageur.

J’ai noté à mesure les incertitudes et les défaillances de cette pièce, aimable, délicate, où manque un certain degré de vigueur dramatique. Les personnages agissent peu et parlent beaucoup, Hélène surtout, qui est intarissable. Ils parlent d’ailleurs une langue soignée, et s’expriment avec élégance et distinction, en personnages de comédie qui se savent admis à exposer leurs affaires de cœur sur les planches de la Comédie-Française et qui sont, comme il convient, pénétrés et respectueux de l’honneur qui leur est fait.

Mlle Piérat a été charmante au premier acte. Aux actes suivants elle a trop appuyé sur la note sentimentale et larmoyante. M. Alexandre a joué avec beaucoup de tact le rôle, souvent difficile, du mari. M. Hervé, dans le rôle de Challange, en a souligné et accentué les défauts.


RENE DOUMIC.