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française, pour aller implorer à genoux cette petite sotte. Voilà un amoureux ! C’est ainsi que le beau Bob Spicer a persuadé ma pauvre mère, et ensuite s’est fatigué d’elle avant que je fusse sevrée !… Cependant je ne me suis fait attendre que huit mois. Mais voilà ! vous n’êtes pas un Spicer, jeune homme ; heureusement pour vous et pour May. Il n’y a que ma pauvre Ellen qui tienne d’eux : tous les autres sont des modèles de Mingott, s’écria la vieille dame dédaigneusement.

Archer s’aperçut que Mme Olenska, qui s’était assise auprès de sa grand’mère, continuait, songeuse, à l’observer. La gaîté avait disparu de ses yeux et elle disait très doucement :

— Sûrement, grand’mère, à nous deux, nous pourrons obtenir ce que Mr Archer désire.

Archer se leva pour s’en aller. Quand sa main toucha celle de Mme Olenska, il comprit qu’elle attendait qu’il fît une allusion quelconque à la lettre restée sans réponse.

— Quand pourrai-je vous rencontrer ? demanda-t-il.

— Quand vous voudrez ; mais il faudra que ce soit bientôt, si vous désirez revoir la petite maison. Je déménage la semaine prochaine…

Une angoisse étreignit Archer au souvenir des heures passées dans le petit salon au plafond bas. Si brèves qu’elles eussent été, elles étaient pourtant lourdes d’émotions.

— Demain soir ? fit-il…

— Oui, demain. Mais de bonne heure, car je dois sortir…

Le lendemain était un dimanche : si Ellen sortait, ce ne pouvait être que pour se rendre chez Mrs Lemuel Struthers. Il en éprouva une légère contrariété, parce que c’était une maison où elle était sûre de rencontrer Beaufort. Elle ne pouvait l’ignorer : peut-être, même, est-ce pour cela qu’elle y allait.

Le lendemain, dès huit heures et demie, il sonnait à la porte encadrée de glycine. Il fut surpris de trouver des chapeaux et des pardessus dans le vestibule de Mme Olenska. Pourquoi l’avoir invité à venir de bonne heure, si elle avait du monde à dîner ? Un examen plus attentif des vêtements éveilla sa curiosité. Les pardessus étaient des plus étranges ; d’un coup d’œil, il vit qu’il n’y en avait aucun qui pût appartenir à Julius Beaufort. À côté d’un ulster jaune, se trouvait un vieux manteau à pèlerine, tout râpé. Ce dernier paraissait appartenir à une personne de taille exceptionnelle, et avait évidemment vu des