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en robe de mousseline empesée sortait de la tente, un arc à la main, et décochait sa flèche. Alors, il se faisait un grand silence et tous les yeux se braquaient sur la cible.

Archer, debout sous la véranda, regardait curieusement cette scène. Des aloès dans des grands pots de faïence turquoise, placés sur des socles jaunes, flanquaient les marches du perron : et en contre-bas de la véranda s’épanouissait une bordure d’hortensias bleus et de géraniums rouges. Derrière le jeune homme, les portes-fenêtres à la française, garnies de rideaux de dentelle ondoyants, laissaient entrevoir, sur le parquet du salon, des poufs de cretonne, des fauteuils crapauds, et de petites tables recouvertes de velours, chargées de minuscules bibelots d’argent.

La réunion annuelle du Tir-à-l’Arc de Newport avait toujours lieu chez les Beaufort. Ce sport n’avait connu jusqu’alors d’autre rival que le croquet : mais il allait bientôt abdiquer devant le lawn-tennis, quoique ce dernier jeu fut encore considéré comme trop violent, trop inélégant, et convenant mal aux réunions mondaines : pour faire valoir de fraîches toilettes et de gracieuses attitudes, rien ne valait le tir à l’arc.

Archer assistait en étranger à ce spectacle familier. Comment la vie pouvait-elle continuer aussi pareille, quand lui-même était devenu si différent ? C’était à Newport qu’il avait, pour la première fois, compris l’étendue du changement qui s’était fait en lui. À New-York, l’hiver précédent, après s’être installé avec May dans leur maison neuve, la reprise de ses habitudes, de son activité professionnelle, l’avait aidé à renouer avec le passé. Puis, il s’était intéressé au choix d’un brillant steppeur gris, destiné au coupé de May ; bravant la désapprobation de la famille, il avait arrangé sa bibliothèque selon les idées nouvelles : sur les murs un papier sombre, imitant le cuir, qui s’harmonisait aux bibliothèques Eastlake. Et il avait voulu de grands fauteuils lourds, bas et trapus, dans le style nouveau des « meubles sincères. » Au Century Club il avait retrouvé Ned Winsett, et au Knickerbocker Club les jeunes élégants de son milieu. Ainsi, entre ses heures de bureau, les dîners en ville du jeune ménage et ceux qu’ils donnaient eux-mêmes, les soirées à l’Opéra ou à la comédie, ce premier hiver lui avait paru la continuation des hivers précédents.

Mais à Newport, il n’était relevé des obligations professionnelles que pour subir celle des amusements. En vain avait-il