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D’être là, de ne savoir comme
Il faut faire pour être heureux,
De vieillir, non pas douloureux,
Mais plein des vains soucis de l’homme,

De sentir passer à mon tour
Le temps qui, pendant que j’hésite,
Sable entre mes doigts, fuit si vite !
Et de devoir mourir un jour !


LES SOIRS DU POÈTE


Les soirs où, voyant face à face la beauté,
Chaque poète en lui sent abonder les strophes,
Sont les premiers soirs chauds et fleuris de l’été.

Pendant l’hiver, saison close des philosophes,
L’esprit seul à l’écart cerne la vérité
Dans la chambre hermétique aux murs tendus d’étoiles.

L’automne est le moment du souvenir frileux :
A travers les carreaux brouillés, l’âme muette
Regarde le passé fuir vers les lointains bleus.

Le printemps même, où tout s’inquiète et souhaite,
Poursuit sans le chanter le bonheur fabuleux :
Les soirs d’été font seuls s’accomplir le poète.

S’il travaille devant les ténébreux jardins,
Avec le vent qui souffle à sa fenêtre ouverte
Des conseils d’allégresse entrent, frais et soudains.

Au loin sa lampe éclaire un lys dans la nuit verte :
Ainsi son âme en lui, dans l’ombre des dédains,
Fait briller tout à coup une foi découverte.

Quand il lève les yeux au ciel ardent, là-bas,
En dépit de l’antique et douce accoutumance,
Les astres semblent neufs à ses yeux jadis las.

De même il aperçoit au ciel de l’art immense
Des soleils de beauté qu’il ne connaissait pas :
Tout en lui-même ainsi qu’au monde recommence.