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Du ton le plus cordial, M. Doumergue me répondit : — Je vois que vous êtes buté ; mais j’espère que M. le Président de la République sera plus persuasif que moi.

Une amitié, qui date du lycée Louis-le-Grand, m’unit à M. Poincaré. Le 2 janvier 1914, il me fit appeler à l’Élysée. C’est l’ami qui me reçut ; mais c’est le Président de la République qui me parla ; il me dit que le Conseil des Ministres avait déjà délibéré sur ma désignation ; que le choix de M. Doumergue était arrêté ; bref, que je devais m’incliner. Son patriotisme généreux, sa haute conscience du devoir public, la lucide et pressante dialectique de sa parole lui inspirèrent en outre les arguments qui pouvaient me toucher le plus. J’acceptai. Mais je spécifiai que, si j’assumais la charge et l’insigne honneur de représenter la France en Russie, c’était pour y pratiquer exclusivement la politique traditionnelle de l’Alliance, comme étant la seule qui permît à la France de poursuivre sa mission historique dans le monde.

J’occupais depuis cinq mois l’Ambassade de Saint-Pétersbourg, quand je fus mandé à Paris pour régler verbalement les détails de la visite que le Président de la République se proposait de faire à l’Empereur Nicolas dans le cours de l’été.

En débarquant à la gare du Nord, le 5 juin, j’appris que le Cabinet Doumergue était démissionnaire et que M. Bourgeois, qui avait accepté de constituer un nouveau ministère, venait de se récuser, ayant reconnu qu’il serait aussitôt renversé par la Chambre s’il n’inscrivait dans son programme l’abrogation de la loi militaire, dite « loi des trois ans ; » les journaux annonçaient enfin que M. Viviani avait repris la tâche abandonnée par M. Bourgeois, et qu’il espérait trouver une formule de transaction qui lui assurât le concours de l’Extrême-Gauche.

Ma décision fut prise immédiatement.

Arrivé chez moi, je fis demander à M. Briand quelques minutes d’entretien. Il me reçut le lendemain matin. Je lui déclarai aussitôt que j’étais résolu à me démettre de mon ambassade si le Cabinet en formation ne maintenait pas le service de trois ans et je le priai de communiquer ma résolution à M. Viviani, que je ne connaissais pas encore personnellement. Il m’approuva fort :

— La crise qui vient de s’ouvrir, me dit-il, est une