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Il y avait, dans sa voix, comme un souffle de Danton. Profitant de son émotion, je lui demandai :

— Vous êtes donc résolu à maintenir intégralement la loi militaire ? Je peux l’affirmer à l’empereur Nicolas ?

— Oui, vous pouvez lui affirmer que le service de trois ans sera maintenu sans restriction et que je ne laisserai rien faire qui puisse affaiblir ou relâcher notre alliance avec la Russie.

Pour terminer, il m’interrogea longuement sur l’Empereur Guillaume, sur son caractère, sur ses dispositions récentes, sur ses véritables sentiments à l’égard de la France, etc… Puis il me confia le motif de cet interrogatoire minutieux :

— J’ai un conseil à vous demander… Le Prince de Monaco a fait savoir à mon collègue de la Chambre, X…, que l’Empereur Guillaume serait heureux de s’entretenir avec lui, cet été, aux régates de Kiel. X… est disposé à s’y rendre… Ne croyez-vous pas que cet entretien pourrait détendre la situation ?

— Je ne le crois aucunement. C’est toujours le même jeu… L’Empereur Guillaume couvrira X… de fleurs ; il lui protestera que son plus fervent désir, son unique pensée est d’obtenir l’amitié, l’amour même de la France et il le comblera d’égards. Il se donnera ainsi, aux yeux du monde, l’apparence du souverain le plus pacifique, le plus inoffensif, le plus conciliant. Notre opinion publique et X… tout le premier se laisseront séduire par ces beaux dehors. Pendant ce temps-là, vous serez, vous, aux prises avec les réalités officielles de la diplomatie allemande, avec ses procédés systématiques d’intransigeance et de vexation…

— Vous avez raison. Je dissuaderai X… d’aller à Kiel. Comme il semblait n’avoir plus rien à me dire, je lui demandai ses instructions pour la visite du Président de la République à l’Empereur Nicolas. Puis je pris congé de lui.

Le 26 juin, je rentrai à Saint-Pétersbourg.

Maintenant, je n’ai plus qu’à laisser parler mon Journal. Les notes qui le composent furent écrites quotidiennement ; celles qui ont trait à la politique sont, en quelque sorte, certifiées par ma correspondance officielle.

On ne s’étonnera pas si des motifs de convenance et de discrétion m’ont souvent obligé à remplacer les noms de personnes par des initiales fictives.