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l’Empereur est résolu à se montrer des plus conciliants sur les affaires de Perse et il insiste pour que le gouvernement britannique comprenne enfin la nécessité de transformer la Triple-Entente en Triple-Alliance.

Conversation toute superficielle avec les ambassadeurs d’Italie et d’Espagne.

Arrive enfin mon collègue d’Autriche-Hongrie, le comte Szapary, le type du gentilhomme hongrois, tenue parfaite, intelligence médiocre, instruction vague. Depuis deux mois, il était absent de Pétersbourg, obligé de rester auprès de sa femme et de son fils malades. Il est revenu inopinément avant-hier. J’en ai induit que le différend austro-serbe s’aggrave, qu’il va y avoir un éclat et qu’il faut que l’ambassadeur soit à son poste pour soutenir la dispute et assumer sa part de responsabilité. Poincaré, que j’ai averti, m’a répondu :

— Je vais essayer de tirer cela au clair.

Après quelques mots de condoléance sur l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, le Président demande à Szapary :

— Avez-vous des nouvelles de Serbie ?

— L’enquête judiciaire suit son cours, répond froidement Szapary.

Poincaré reprend :

— Les résultats de cette enquête ne laissent pas de me préoccuper, monsieur l’Ambassadeur ; car je me rappelle deux enquêtes antérieures qui n’ont pas amélioré vos rapports avec la Serbie… Vous vous rappelez, monsieur l’Ambassadeur… l’affaire Friedjung et l’affaire Prochaska ?

Szapary réplique sèchement :

— Nous ne pouvons pas tolérer, monsieur le Président, qu’un gouvernement étranger laisse préparer, sur son territoire, des attentats contre notre souveraineté !

Du ton le plus conciliant, Poincaré s’efforce de lui démontrer que, dans l’état actuel des esprits en Europe, tous les gouvernements doivent redoubler de prudence.

— Avec un peu de bonne volonté, cette affaire serbe est facile à régler. Mais, facilement aussi, elle s’envenimerait. La Serbie a des amis très chauds dans le peuple russe. Et la Russie a une alliée, la France. Que de complications à craindre !

Puis, il remercie l’ambassadeur de sa visite. Szapary s’incline et sort, sans dire un mot.