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Le dîner fini, nous allons voir un ballet, au joli théâtre impérial du camp.


Jeudi, 23 juillet 1914.

Ce matin, revue à Krasnoïé-Sélo. Soixante mille hommes y prennent part. Spectacle superbe de puissance et d’éclat. L’infanterie défile sur la Marche de Sambre-et-Meuse et sur la Marche Lorraine.

Combien est suggestif cet appareil militaire, que le Tsar de toutes les Russies fait évoluer devant le Président de la République alliée, enfant de Lorraine !

L’Empereur est à cheval, au pied du tertre où s’élève le pavillon impérial. Poincaré s’est assis à la droite de l’Impératrice, devant le pavillon ; quelques regards qu’il échange avec moi me prouvent que nous avons mêmes pensées.

Ce soir, dîner d’adieu à bord de La France. Aussitôt après, l’escadre française appareillera pour Stockholm.

L’Impératrice s’est fait un devoir d’accompagner l’Empereur. Tous les Grands-Ducs et toutes les Grandes-Duchesses sont là.

Vers sept heures, une bourrasque passagère a quelque peu endommagé la décoration florale du pont. Néanmoins, l’aspect de la table est fort beau : il a même une sorte de grandeur terrifiante, lorsqu’on regarde les quatre gigantesques canons de 305 mm. qui allongent leurs volées énormes au-dessus des convives. Le ciel s’est déjà rasséréné ; une brise légère caresse les flots ; la lune se lève à l’horizon.

Entre le Tsar et le Président, la conversation ne discontinue pas.

De loin, à plusieurs reprises, la Grande-Duchesse Anastasie élève vers moi sa coupe de champagne, en me montrant d’un geste circulaire l’appareil guerrier qui nous entoure.

Voici enfin les toasts. Poincaré lance, comme un coup de clairon, la phrase finale :

Les deux pays ont le même idéal de paix dans la force, l’honneur et la dignité.

Ces derniers mots, qu’on avait vraiment besoin d’entendre, déchaînent un orage d’applaudissements. Le Grand-Duc Nicolas-Nicolaïéwitch, la Grande-Duchesse Anastasie, le Grand-Duc