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Il m’objecte aussitôt, avec des saccades dans la voix :

— Mais c’est ici qu’il faut qu’on se calme et qu’on cesse d’exciter la Serbie !

— Je vous affirme sur l’honneur que le gouvernement russe est parfaitement calme et prêt à toutes les solutions conciliatrices. Mais ne lui demandez pas de laisser anéantir la Serbie. Ce serait lui demander l’impossible. Il me lance, d’un ton sec :

— Nous ne pouvons pas abandonner notre alliée.

— Permettez-moi de vous parler librement, mon cher collègue. L’heure est assez grave et je pense que nous nous estimons assez l’un l’autre pour que nous ayons le droit de nous expliquer en toute franchise… Si dans un jour, dans deux jours au plus, le conflit austro-serbe n’est pas apaisé, c’est la guerre, la guerre générale, une catastrophe telle que le monde n’en a peut-être jamais connu. Or, cette calamité peut encore être conjurée puisque le gouvernement russe est pacifique, puisque le gouvernement britannique est pacifique, puisque votre gouvernement lui-même se dit pacifique.

À ces mots, Pourtalès éclate :

— Oui, certes, et j’en atteste Dieu ! l’Allemagne est pacifique ! Voilà quarante-trois ans que nous sauvegardons la paix de l’Europe ! Pendant quarante-trois ans, nous avons mis notre honneur à ne pas abuser de notre force ! Et c’est nous qu’on accuse aujourd’hui de vouloir déchaîner la guerre !… L’histoire prouvera que nous avons le bon droit pour nous et que notre conscience n’a rien à se reprocher.

— En sommes-nous déjà au point qu’il faille invoquer le jugement de l’histoire ? N’y a-t-il donc plus aucune chance de salut ?

L’émotion qui étreint Pourtalès est telle qu’il ne peut plus parler. Ses mains tremblent ; ses yeux se voilent de larmes. Avec une trépidation de colère contenue, il répète :

— Nous ne pouvons pas abandonner, nous n’abandonnerons pas notre alliée… Non, nous ne l’abandonnerons pas !

Sur ce, l’ambassadeur d’Angleterre sort du cabinet de Sazonow. Pourtalès s’y précipite, la mine farouche, sans même serrer la main de Buchanan au passage.

— Dans quel état il est ! me dit sir George… La situation a encore empiré… Je ne doute plus que la Russie ne marche à fond ; she is thoroughly in earnest. Je viens de supplier Sazonow